Tinder veut se muer en réseau social généraliste
En 2004, le jeune étudiant de Harvard Mark Zuckerberg lance un trombinoscope en ligne pour son campus. Douze ans plus tard, Facebook compte 1,712 milliard d'utilisateurs actifs chaque mois, selon des chiffres publiés fin juin 2016. En septembre 2011, deux étudiants de Stanford, Evan Spiegel et Bobby Murphy, inspirés par le scandale de photos à caractère sexuel envoyées par un élu newyorkais à différentes femmes et qui l'ont mené à la démission, imaginent une messagerie avec des contenus échangés ayant une durée de vie limitée. En juin 2016, selon des chiffres rendus publics par Bloomberg, Snapchat compte 150 millions d'utilisateurs quotidiens.
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Pour Facebook, cette mutation opérée avec succès se traduit par un chiffre d'affaires de 5,4 milliard de dollars (au 1er trimestre 2016) et un bénéfice net de 1,5 milliard de dollars (sur la même période). Pour Snapchat, la réussite n'est pas encore aussi flagrante, mais après avoir connu des pertes jusqu'en 2014, l'année 2015 aurait été marquée par les premiers bénéfices, alors que le chiffre d'affaires tournerait autour de 59 millions de dollars, selon TechCrunch, qui explique que l'objectif serait d'atteindre le milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2017, avec des bénéfices suivant une courbe similaire.
La diversification, clef du succès
L'une des clefs du succès de ces deux aventures entrepreneuriales réside dans la diversification et la mutation. Simple annuaire en ligne d'étudiants de Harvard, Facebook est devenur le réseau social de référence dans le monde et est actif dans la messagerie (Facebook Messenger, WhatsApp), les transferts d'argent, la diffusion de contenus d'information, la photographie (Instagram),... Cheminement similaire pour Snapchat, né comme une app de sexting et qui propose de la diffusion d'informations, l'envoi d'argent (Snapcash), de la diffusion de vidéos (Discover),...
Et si Tinder suivait la même stratégie? Avec le lancement (dans quelques pays pour le moment) de Tinder Social, la démarche semble engagée. Tinder Social, c'est une nouvelle fonctionnalité de l'app de rencontres qui permet des rencontres «à plusieurs».
Immédiatement, les réseaux sociaux se sont enflammés, supposant que l'app se lançait dans l'échangisme et autres orgies sexuelles.
Peuple de France, n'attend plus et organise toi aussi ta partouze socialement acceptable ! #TinderSocial pic.twitter.com/jDBgvAAz8m
— Maxence (@Max_Everywhere) 27 juillet 2016
J'ai l'esprit mal tourné ou ça ressemble à de l'organisation de partouzes ? :-D #TinderSocial @pressecitron pic.twitter.com/Puef9QvPA2
— Nicolas Sébline (@nicoseb71) 27 juillet 2016
So if #Tinder is for hooking up is #TinderSocial for orgies? pic.twitter.com/iBQHbX8VZc
— Chicago Sports Bums (@ChiSportsBums) 23 juillet 2016
Rapidement, la direction de Tinder a démenti cette vocation: «la nouvelle fonctionnalité permet aux utilisateurs de créer des groupes pour rencontrer des nouvelles personnes et organiser des activités ensemble», dixit Tinder... Tinder Social ne viserait aucunement des buts coquins ou libertins, mais aurait pour objectif de faciliter les sorties entre amis, autour d'activités de loisirs communes, de centres d'intérêts partagés. Ainsi, une personne souhaitant sortir pourrait le signaler sur l'app et les autres inscrits ayant le même type de projet pourraient le savoir, et organiser ainsi une soirée bowling, un cinéma, une sortie restaurant ou une soirée jeux de société. Une mise au point qui a intrigué voire dérouté certains internautes.
Hier soir, je refais un tour sur Tinder, et je tombes sur #TinderSocial, c'est quoi le principe ?! Pas compris ! :p
— Creat' One (@creat_one) 30 juillet 2016
C'est quoi ce #TinderSocial qui m'indique que des mecs sortent ce soir à 9200km ? Quel intérêt ? Ils m'offrent l'avion ?
— Henri (@hdcbv92) 28 juillet 2016
Deux logiques pourraient expliquer cette nouvelle fonctionnalité et le discours qui l'accompagne. Soit l'objectif serait de permettre des relations intimes libertines mais il serait difficile de l'admettre publiquement sous peine de faire fuir des annonceurs déjà frileux en raison de l'image de marque «comsommation de masse pour rencontres amoureuses» que véhicule l'app. Soit Tinder Social inaugure la réorientation du business vers un réseau social généraliste. C'est la version privilégiée par Eric Briones, directeur du planning stratégique de Publicis et Nous, qui explique à Challenges que «c'est une démarche hyper business pour positionner Tinder comme un vrai réseau social. Cela dénote la volonté de présenter l'application comme la marque la plus inclusive possible pour séduire les marques alors qu'elle était présentée comme le Sodome et Gomorrhe du digital avec des pratiques qui tuent le désir en promouvant une hyper consommation sexuelle».
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Une version défendue par les créateurs de Tinder qui vont jusqu'à donner une nouvelle version de leur app: «Nous n’avons jamais souhaité que ce soit une plateforme de rencontre. C’est une plateforme de découverte sociale qui facilite l’introduction entre deux personnes», assurait voici quelques mois Justin Mateen, qui dirigeait alors le marketing de Tinder, au Guardian.
Eviter le destin de Twitter
Alors que les solutions de rencontre en ligne restent relativement éphémères et sujettes aux modes, il est donc vital pour Tinder de se diversifier. Et proposer des fonctionnalités variées à la manière des autres réseaux sociaux majeurs pourrait lui épargner un destin à la Twitter, qui se cherche toujours une rentabilité en dépit des centaines de millions d'utilisateurs à travers la planète.
Au cours des derniers mois, Tinder a donc non seulement lancé Tinder Social, mais aussi conclu des partenariats avec des géants des médias américains (USA Networks, Fox), lancé une app de réseautage business en partenariat avec Forbes, ou encore toléré des initiatives d'entreprises ou de recruteurs venus chercher les talents sur l'app.
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Cependant, avec cette stratégie, Tinder prend également un risque: celui de brouiller son image aux yeux de ses abonnés, actuels ou futurs. Ceux-ci viennent essentiellement pour faire des rencontres. Si Tinder devenait un réseau social généraliste, il pourrait perdre de son attrait aux yeux de ceux-ci. D'autant plus qu'en activant la fonctionnalité Tinder Social, l'abonné Tinder qui a lié son compte à Facebook verra l'ensemble de ces contacts sur le réseau de Mark Zuckerberg être avertis qu'il est inscrit sur Tinder...
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