La machine qui aurait voulu être un artiste
La multiplication d’œuvres créées par des algorithmes pose la question de la créativité de ces programmes. Le Festival Ars Electronica montre surtout la naissance d’un nouveau genre d’artistes.
Compositeur, instrumentiste, peintre, poète… Il ne se passe plus un jour sans l’annonce d’une nouvelle création ou performance artistique produite par une intelligence artificielle (IA). Ici, c’est Amper qui compose toutes les mélodies du dernier album – originalement baptisé «I am AI» – de la chanteuse Taryn Southern. Là, ce sont des bras robots Kuka contrôlés par des logiciels de machine learning qui jouent de la guitare et du piano dans le clip «Automatica» de Nigel Stanford.
Dans la foulée des peintures fractales du programme DeepDream de Google, les recherches dans ce domaine explosent. DeepArt, spin-off de l’Université de Tübingen, en Allemagne, propose des peintures «à la manière de» élaborées par son IA à partir d’une photo. Le Deep Artificial Composer développé par l’EPFL génère des morceaux originaux inspirés par le folklore irlandais ou klezmer (juif ashkénaze). Au point de laisser croire que l’ultime bastion de l’activité humaine, la créativité, est déjà sous l’assaut d’une intelligence artificielle devenue omniprésente?
Guitare électrique 2.0 - -
A Linz, en Autriche, début septembre, le Festival Ars Electronica, à l’avant-garde depuis 1979 des productions nées à la croisée de l’art et des nouvelles technologies, a mis la question au centre d’un symposium. Dans PostCity, ancien centre de tri de la poste autrichienne qui accueille la manifestation, les nombreuses œuvres ou installations produites par des IA soulignaient cependant qu’au-delà des effets d’annonce spectaculaires, l’IA crée surtout un nouveau genre d’artistes plutôt qu’un nouvel art.
Plasticien d’origine turque, Memo Akten est de ceux-là. Doctorant en intelligence artificielle à l’Université de Londres, il rappelle que «la guitare électrique avait été inventée pour éliminer les distorsions lors de l’amplification du son. Vous voyez ce que Jimi Hendrix en a fait.» Pour Memo Akten, «l’IA crée de nouveaux systèmes interactifs avec lesquels jouer.» Des guitares électriques 2.0.
Pionnière dans ce domaine au Collège Goldsmiths, Rebecca Fiebrink poursuit: «La question n’est pas de savoir si les machines sont créatives, mais comment elles peuvent se mettre au service de la créativité humaine.» Elle en voulait pour exemple le travail d’Anne Hege, compositrice qui utilise une IA pour entraîner des capteurs à reconnaître les mouvements d’une danse rituelle et, à partir de là, - à en élaborer la musique (From the waters).
Pour parvenir à ce résultat, Anne Hege, comme d’autres artistes, utilise le Wekinator, suite de logiciels libres de «machine learning» – une technique d’apprentissage à partir d’une grande quantité de données – développée par Rebecca Fiebrink. Un cours en ligne baptisé Kadenze accompagne les artistes. Ils apprennent à contrôler la musique avec des gestes mais aussi à créer de nouveaux instruments de musique. «Le machine learning ouvre de nouveaux espaces créatifs pour les êtres humains, analyse Rebecca Fiebrink. Il peut rendre plus de personnes capables de devenir des créateurs avec plus de prototypage et en définitive de meilleurs résultats.»
Dans la galerie des prix délivrés par Ars Electronica ou dans celle, Campus, présentant les travaux d’étudiants, on trouve bon nombre de ces résultats. L’Allemand Mike Tyda utilise les photos de Flickr pour générer des portraits de personnes imaginaires avec des réseaux de neurones qui s’améliorent en distinguant progressivement les vrais des faux convaincants. Avec FlyAI, David Bowen utilise l’IA TensorFlow de Google pour déterminer le sort d’une colonie de mouches. Si le programme fait bien son travail en reconnaissant les insectes qui passent devant sa caméra, il les nourrit, sinon… Sur la base des données de l’autorité américaine des marchés financiers, le projet White Collar Crime Risk Zone de New Enquiry crée des cartes avec des modèles de prédiction indiquant les lieux les plus probables de crimes en col blanc.
Les outils de la surveillance de masse - -
C’est créatif, cela débouche parfois sur une nouvelle esthétique. Mais en matière d’intention, il n’y a bien que celle des artistes. On en a la confirmation avec la présentation de Kenric McDowell, responsable du programme d’artistes en résidence Artists + Machine Intelligence (AMI) de Google. Il a, par exemple, mis ses ressources technologiques à disposition de l’artiste Refik Anadol pour réinventer la navigation dans une collection de 1,7 million de documents de la bibliothèque SALT à Istanbul. C’est spectaculaire, mais le rôle de l’IA se limite à celui d’une supervision guidée pour tisser des liens entre documents hétérogènes.
Outre Artists + Machine Intelligence, Google a lancé deux autres programmes d’IA pour l’art. Magenta conçoit des outils pour la création artistique dans la foulée du projet DayDream. Ainsi, Nsynth a entraîné un réseau de neurones sur 300 000 sons d’instruments afin de créer de nouveaux hybrides, flûte-contrebasse, par exemple. Sketch-RNN invente des dessins à partir d’un premier jet. De son côté, le lab de son institut culturel à Paris applique ces technologies au patrimoine.
Au final, les travaux les plus intéressants d’artistes explorant l’IA ressemblent à celui apparemment futile de deux étudiants: Olga Lukyanova et André Mintz. Avec deadartist.me, ils ont créé un jeu pour que les utilisateurs de Facebook sachent de quels artistes ils sont la réincarnation. Résultat: les profils psychologiques, les amis, la position géographique… d’un demi-million de joueurs.
Parce que, comme le remarque Memo Akten, les mêmes outils servent aux mêmes entreprises qui les développent à mieux cibler psychologiquement les utilisateurs pour leur vendre de la pub. «Les outils de l’intelligence artificielle sont les mêmes que ceux de la surveillance de masse.» C’est peut-être le message le plus important que les artistes qui s’emparent de l’IA ont à communiquer.
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