Dessine-moi un savoir-faire
Identifier les compétences au sein d’une entreprise paraît assez simple. Mais comment archiver et mobiliser les éléments importants? Des outils créent des bases de données intelligentes.

Le défi pour les entreprises: avoir une vision globale de systèmes complexes.
Crédits: Akindo/Getty imagesL’apparition du 4.0, de l’intelligence artificielle ou encore du big data a fait entrevoir les promesses d’une base de données intelligente. Aujourd’hui, c’est pourtant toujours loin d’être le cas pour les entreprises, qui peinent encore à cartographier leur savoir. Qui sait quoi? Quels sont les processus connus et à quels problèmes et solutions sont-ils reliés? La réponse se situe entre des feuilles Excel et des sous-dossiers.

Une organisation préférant rester anonyme a mis en place un logiciel dévolu à l’intelligence collective. «Le problème est que les personnes ne le remplissaient pas», confie l’un des employés. Le phénomène ne surprend pas Gil Regev, knowledge manager chez Itecor et membre du comité exécutif de la Société suisse de management de projet. «Il y a eu beaucoup d’exemples dans le passé», note-t-il, avant de préciser que «cela rejoint le cycle de «hype» de Gartner: au final, l’outil n’est pas utilisé et tombe à l’eau». Le cycle en question décrit l’utilisation d’un nouvel objet ou technologie. Celle-ci connaît vite une grande croissance avant que l’intérêt ne parte aussi vite qu’il est venu.
L’idée d’une sorte d’archive des savoirs existe depuis de nombreuses années. Cédric Berger et Serge Guillard l’ont théorisée en créant la cartographie d’entreprise. Le fondateur de la société de management genevoise Mark International résume la démarche en quatre «C», à savoir clarifier, capitaliser, communiquer et contrôler. Autant d’actions qui permettent aux dirigeants d’avoir une vision globale d’un système complexe. «La carte devient alors un lieu d’échanges, d’information et de compréhension de l’organisation de l’entreprise, elle en valorise le capital organisationnel à la fois par sa valeur de stockage et sa valeur d’usage», écrivent les analystes dans un document de travail.
L’humain avant tout
«Les données sont clés et on en produit des milliards à la seconde», affirme Frédéric Dreyer, directeur de l’Office de promotion des industries et technologies (OPI) à Genève. «Elles ont de la valeur si elles entraînent une décision», ajoute Constant Ondo, CEO d’Exelop et créateur du système PICC (Private Innovation Competence Center). Lui aussi insiste sur la nécessité de placer l’humain au centre des processus. Si son outil est capable de scanner des documents tels que des brevets ou autres documents publics, il va également plus loin en les classant et en ressortant des «problèmes» à l’aide d’une intelligence artificielle. «Elle n’est pas en parallèle, mais au service de l’humain», précise Constant Ondo. Les différentes idées et concepts sont reliés sous forme de nœuds, qui amènent eux-mêmes à des experts. Le résultat? Une sorte de cartographie du savoir-faire de l’entreprise, avec les solutions et connaissances à portée de main. De grandes sociétés comme Airbus, Chanel ou encore BIC ont testé l’outil. Constant Ondo entend ainsi prendre le contre-pied de l’intelligence régie par les données. Il parle lui d’intelligence humaine augmentée.

Les éléments de contexte demeurent parfois mal interprétés par certaines intelligences artificielles. Ces dernières se focalisent sur des éléments tangibles et explicites. «La prise de décision n’est que la pointe de l’iceberg», explique Gil Regev. Il cite en exemple les connaissances tacites, que les personnes ont en tête mais ne pensent pas forcément à mentionner. «Cela me rappelle l’époque où on voulait faire des systèmes d’aide à la décision pour les médecins. On leur a demandé sur quoi ils basaient leurs décisions et ils n’ont pas su répondre.»
Frédéric Dreyer insiste lui aussi sur la notion purement subjective qui sort des modèles analytiques purs. «Parfois, la mission d’un département de recherche et de développement est de créer un crayon agréable à prendre en main. Et cela relève uniquement de la perception humaine, parfois de l’intangible, d’où l’importance d’avoir un panel d’informations représentatif.»

La notion de dialogue, d’intelligence collective, est d’ailleurs centrale dans cette constellation de connaissances. «On n’est plus à travailler seuls dans son coin. A l’ère du local cela paraît naturel, mais cette logique n’était pas aussi clé il y a trente ans», affirme Frédéric Dreyer. S’il y a bien des échanges entre les entreprises, via du réseautage ou d’autres d’événements ciblés, il y a quantité de dialogues et d’échanges d’informations à l’interne.
Cela a d’ailleurs poussé des entreprises à désigner des experts – ou des référents – sur des questions précises. Une manière d’engager le dialogue.
Quid de l’avenir?
Les différents experts en gestion des connaissances s’entendent sur une chose: les technologies sont obsolètes si elles cherchent à remplacer les individus. L’intelligence artificielle et le machine learning sont capables de compiler des données et d’en ressortir des statistiques précises. Mais toutes les variables en jeu sont difficiles à représenter. «Dans la gestion, on veut tellement tout mobiliser qu’on oublie qu’il vaut mieux parfois oublier», lance Gil Regev. Les entreprises qui ont lancé des produits en avance sur leur temps ont parfois pu les ressortir au moment opportun.
Reste à trouver la manière optimale de pérenniser les savoirs. «Les PME le font avec les tripes et le bon sens. Elles sentent le besoin de références en interne», observe Frédéric Dreyer. Il poursuit: «Avec le risque de perdre une personne qualifiée, la notion de rétention de «talents» et d’expertises est clé.» D’où la recherche d’outils qui agrègent, analysent et fournissent de manière prédictive voire prescriptive des scénarios décisionnels.