«La finance doit retrouver ses racines sociales»

Lancé en 2008 par Yoni Assia, eToro touche 4,5 millions d’utilisateurs dans 170 pays.
Crédits: DrIsraélien d’origine, Yoni Assia a commencé à faire du trading de produits financiers à l’âge de 13 ans avec l’apparition des premières plateformes en ligne. Après un doctorat en sciences informatiques et une licence en portfolio management, il travaille sur des outils de visualisation des options pour une entreprise informatique. En 2006, il crée avec son frère Ronen Assia et un ami, David Ring, la plateforme de trading social eToro. Trois des plus grandes banques du monde – la russe Sberbank, la chinoise Ping An et l’allemande Commerzbank – viennent d’investir 30 millions de dollars dans cette start-up. Bilan a demandé pourquoi à son CEO.
Racontez-nous la génèse d’eToro.
En travaillant dans la finance, je me suis rendu compte que celle-là a perdu ses racines sociales au bénéfice d’une expertise qui la réserve à une poignée de geeks financiers, un petit club exclusif dont je faisais partie. Le temps était venu de retrouver ces racines sociales en offrant une expérience utilisateur radicalement meilleure aux clients-investisseurs.
On était alors au tout début du web 2.0 et de l’économie du partage, à l’aube d’une nouvelle ère sociale. C’est ce qui nous a inspiré l’idée de faciliter les collaborations transparentes sur eToro. Notre philosophie est d’ouvrir les marchés financiers globaux à tout un chacun de manière simple et transparente pour devenir la plus grande plateforme de trading social du monde.
Comment fonctionne eToro?
Il s’agit d’une plateforme de trading en ligne enregistrée auprès du régulateur britannique, la FCA. Sur la plateforme, on traite les grandes valeurs actions, les indices, les monnaies et les matières premières. Nos utilisateurs peuvent commencer par ouvrir un compte en dollars virtuels avant d’ouvrir un véritable compte. Nos revenus sont générés par des commissions de trading typiquement inférieures à 0,1% en fonction des produits.
Rien de très original jusque-là?
Notre particularité est que toutes les transactions de chaque utilisateur sont enregistrées dans un openbook consultable par les autres. Il y a plus d’une vingtaine de critères de recherche sur les profils des meilleurs investisseurs, allant du nombre de semaines profitables aux profils de risque en passant par les rendements historiques.
L’utilisateur peut ainsi identifier un investisseur dont la stratégie l’intéresse pour s’en inspirer. Surtout, il peut copier automatiquement tous les mouvements de ce supertrader avec son propre portefeuille. Cela crée une plateforme socialement très dynamique. Beaucoup de nos utilisateurs publient des liens liés à leur stratégie d’investissement vers Twitter et le web en général. Et une étude menée par le Massachusetts Institute of Technology a aussi montré que ce social trading qui fait collaborer beaucoup de cerveaux aboutit à des performances supérieures.
Pourquoi partager ainsi ses bonnes idées? Ne serait-ce pas plus logique pour un trader de les garder pour lui?
Le copy trading est la clé du modèle d’eToro. D’abord, les traders qui sont copiés reçoivent en plus un «copy fee», imité des management fees des fonds de placement, de 2%. Ensuite, ils sont aussi motivés à ce que d’autres supportent leur stratégie et aillent dans leur sens. Il y a une récompense à la transparence en termes de performance. D’autant plus qu’environ 5% des investisseurs deviennent leaders tandis qu’entre 60 et 70% sont des copieurs.
Qui sont ces investisseurs?
Depuis le lancement d’eToro en 2008, nous avons enregistré 4,5 millions d’utilisateurs dans 170 pays. Ils ont de 18 à 65 ans avec une majorité de 20 à 45 ans, et ce sont souvent des gens avec une culture internet importante. Les comptes sont en moyenne de 1000 dollars mais il y en a quelques-uns qui se montent à plusieurs millions. Il y a aussi des professionnels, mais ce ne sont pas forcément eux les meilleurs traders.
Vraiment?
Je crois qu’en finance l’expertise compte mais la communication compte encore plus. Sur le marché, on n’a pas raison tout seul. De plus, il y a des dimensions émotionnelles qui sont difficiles à saisir, par exemple l’attachement à des produits comme ceux d’Apple qui se prolonge dans la détention des actions de cette société.
Le rationnel n’est-il pas ce qui guide les décisions d’investissement?
Nous pensons qu’il y a de l’expertise cachée dans le marché qu’une plateforme de trading social va révéler. La finance la plus conservatrice tend à effectuer ses choix d’investissement sur la base d’une pure analyse rationnelle. Mais cela devient difficile dans une économie de taux d’intérêt réels négatifs. A l’opposé, les capital-risqueurs s’efforcent de prévoir le futur plutôt que d’analyser le passé. C’est ce que font aussi nombre de nos traders.
La finance comportementale montre que l’intuition est une force puissante. Une plateforme comme eToro permet de révéler l’ensemble de ces dynamiques. Nous-mêmes utilisons ainsi des outils pour analyser les sentiments des marchés.
C’est cette logique de «big data» qui a attiré Sberbank, Ping An et Commerzbank à entrer dans votre capital?
Il s’agit d’apporter notre offre sur des marchés nouveaux comme la Russie ou la Chine. Et il s’agit aussi bien d’atteindre une nouvelle clientèle que d’élargir la gamme des produits négociables sur la plateforme. D’autant plus que nous nous apprêtons à lancer une nouvelle version d’eToro très orientée mobile.
Cette finance sociale ne risque-t-elle pas de pousser les investisseurs à prendre des risques inconsidérés ou à attirer des tricheurs?
En termes de régulation, nous opérons sous la supervision de Londres, qui est un passeport pour les autres marchés européens. Nous avons un chief compliance officer et une équipe de gestion du risque qui vérifient des choses comme les dispositions antiblanchiment ou la politique du «know your customer». Nous jouons un rôle de curateur du réseau et devons insister sur les risques avec des outils dédiés.