
Janvier. C’est la rentrée genevoise. C’eut dû en tout cas le devenir. Mais vous savez comme moi qu’Artgenève s’est vu repoussé en mars. Les galeries ont du coup annulé les vernissages collectifs, prévus pour le jeudi 13. Enfin presque tous. Les inaugurations se déroulent du coup d’une manière que je qualifierais de perlée. C’est ainsi que les amateurs ont pu découvrir le jeudi 20 les nouveaux travaux de Virginie Delannoy chez andata ritorno, rue du Stand.
Un atelier au Grütli
Virginie est née à Paris en 1969, mais cela vous ne l’apprendrez pas sur son site. Autrement très bien fait, ce dernier se contente d’une sèche liste d’expositions, de collaborations, de bourses ou de résidences. Joseph Farine, qui présente pour la seconde fois le travail de la Genevoise d’adoption, renseigne un peu. Autrement, la femme se révèle drôle, simple et ne s’embarrasse pas de mystères. Formée en France, elle a depuis longtemps traversé la frontière. En ce moment, elle occupe un grand atelier fourni par la Ville, au Grütli. «J’ai eu droit à le garder trois ans. J’arrive au bout. Je dois l’évacuer en mars avec des œuvres dont je ne sais parfois plus trop que faire.» Elle pourra certes postuler dans trois ans pour un nouveau bail. Demande aléatoire. Mais trois ans c’est long au jour d’aujourd’hui, qui voit proliférer les plasticiens comme des lapins d’élevage…

«J’ai commencé par la gravure sur bois.» Il en est resté quelque chose à Virginie Delannoy. La matière surtout. Quand Joseph Farine avait présenté son «Intra Muros» en 2012, l’artiste utilisait de vieux meubles pour les découper, les assembler et par conséquent leur rendre vie. «Le résultat me reste encore sur les bras.» La Française a ensuite donné de grands dessins au fusain, à l’architecture très étudiée. Deux mètres sur deux. «Ils possédaient comme une troisième dimension.» L’ennui, c’est que le fusain se révèle une matière très fragile. Sa poudre se dépose par frottage sur tout ce qu’elle rencontre. Virginie Delannoy me montre en photo une installation «in situ», comme disent nos amis latins. Je dois reconnaître que le résultat a de la gueule. C’est spectaculaire.
Une image projetée sur toile
Les six pièces monumentales que l’ex-graveuse présente aujourd’hui chez andata ritorno font partie d’une nouvelle série. Entamée il y a plusieurs années, celle-ci risque bien de trouver là son développement ultime. «Il faut savoir passer à autre chose.» Virginie travaille maintenant sur des bâches de camion, «commandées sur internet en Allemagne», avec du rouleau adhésif. Je m’explique. L’artiste sélectionne une image, qui se voit ensuite projetée sur la toile. «Je passerais autrement mon temps entre la bâche et la table où serait l’image originale.» Agrandie sur deux mètres et demi de haut et projetée, celle-ci se retrouve pixélisée. Ou alors tramée, ce qui revient au même, s’il s’agit d’une reproduction prise dans un livre. Le «scotch» découpé au «cutter» s’adapte à la forme d’un, ou d’une série de points. Il est noir sur fond de couleur. «J’ai utilisé le blanc pour la première fois ici.» Comme on pourrait s’y attendre, la surface couverte de petits morceaux de rubans adhésifs donne une image lisse vue de loin. «Au moins cinq mètres.»

Et que représentent les six bâches exposées à la rue du Stand? Des visages de gens morts depuis longtemps. «J’ai au début travaillé sur l’idée du masque. Comme pour d’autres œuvres que j’avais créé précédemment. Avec les portraits du Fayoum que j’ai ici utilisés, la chose ne fonctionnait pas bien.» Il est cependant permis de penser que les planchettes peintes à l’encaustique par les Egyptiens à l’époque romaine constituent des masques en elles-mêmes. Elles se voyaient plaquées sur les visages des morts. Des gens souvent très jeunes. Elles cachaient de coup leur décomposition sous une apparence de vie. Vieilles de deux millénaires, ces effigies nous montrent ainsi des gens semblant nés hier, avec des regards noirs intenses. «Ils nous dévisagent de face, les yeux dans les yeux.»
«Chaque portrait m’a pris une ou deux semaines de travail. A la longue, je suis bien sûr devenue plus virtuose.»
Le projet a beaucoup intéressé Joseph Farine, qui a développé avec le temps un grand intérêt pour le Fayoum. Virginie Delannoy a donc poursuivi son ouvrage, en variant les tonalités du support. Rien que des couleurs primaires. Rouge, bleu, jaune. «Chaque portrait m’a pris entre une et deux semaines. A la longue, je suis bien sûr devenue plus virtuose. J’ai alors suivi autant que possible les lignes de la peau afin de parfaire l’illusion.» Le galeriste et l’homme qui vous parle pensent que l’image de femme sur fond blanc, placée dans la petite salle, est la meilleure. «Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Il faudrait dire la préférée.»
Pratique
«Virginie Delannoy, Ne pas censé être vu», galerie andata ritorno, 37, rue du Stand, Genève, jusqu’au 4 février. Tél. 078 882 84 39, site www.andataritornolab.ch et www.virginiedelannoy.org Ouvert du mercredi au samedi de 14h à 18h.
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Galerie genevoise – Virginie Delannoy montre ses bâches chez andata ritorno
L’artiste y reconstitue avec du ruban adhésif, taillé au «cutter», des portraits du Fayoum plaqués il y a deux mille ans sur le visage des morts.