
Pour les promoteurs de l’initiative, il s’agit d’un coup d’éclat pour ne pas dire un coup d’État. Ses adversaires penseront sans doute que c’est un attentat, presque aussi grave que celui ayant coûté la vie de l’impératrice à Genève en 1898. Le 7 mars dernier, le portrait de Sissi par Franz Xaver Winterhalter, conservé à la Hofburg de Vienne, a été recouvert d’une œuvre conceptuelle minimaliste due à Vivian Dehning, assortie d’un poème. Cette défiguration, au sens propre, a été conçue afin de marquer la «Journée internationale des Droits de la femme», célébrée le 8 mars. Elle prendra fin, du moins c’est promis, le soir du 31 mars. Espérons qu’il ne s’agit pas là d’un poisson d’avril!
Princesse rebelle…
Contrairement à ce que vous pourriez penser, l’initiative n’est pas due à une conservatrice féministe radicale ou à un groupe d’intégristes islamiques, ce qui revient parfois hélas un peu au même. C’est l’Office du tourisme de Vienne qui a eu cette brillante idée. La volonté affichée était de mettre fin aux «préjugés réducteurs» entourant Elisabeth d’Autriche. Ce n’était pas uniquement la brillante jeune femme aux épaules nues vêtue d’une crinoline blanche aux airs de meringue chantilly. Derrière cette apparence se cachait une créature brillante et sensible, mal adaptée aux exigences de la Cour. On sait à quel point notre époque aime les princesses rebelles, de Marie-Antoinette et Lady Di. Notons que, comme ces dernières, Sissi a voulu bénéficier des avantages de sa position tout en rejetant les devoirs lui déplaisant. Follement dépensière, elle a beaucoup voyagé, quand elle ne se retirait pas dans sa villa de Corfou ou des environs de Vienne.

Jusqu’à la fin du mois, le public de la Hofburg pourra donc méditer sur cette femme dont l’apparence se serait vue «instrumentalisée», comme celle de toutes les reines. Les répliques du fameux portrait, dû à un artiste ayant su flatter tout ce qui portrait une couronne vers 1860, ont aussi été recouvertes à l’Hôtel Impérial et aux Musée des meubles impériaux. Le conservateur du Musée Sissi Michael Wohlfart se déclare ravi de cette volonté. La femme à la tête du Groupe Schönbrunn, qui administre les anciens domaines des Habsbourg aussi. Pour Elfriede Iby, «Sissi était une femme très intelligente sur le plan stratégique. Même si sa voix ne comptait pas officiellement, elle savait quel effet auraient ses gestes sur le public.» Voilà qui me semble contradictoire. Elisabeth a donc voulu en 1865 le portrait, comme elle a accepté celui de Franz Xaver Winterhalter la montrant les cheveux défaits, ce qui contrevenait pour le moins à l’étiquette.
«Sissi était une femme très intelligente sur le plan stratégique. Même si sa voix ne comptait pas officiellement, elle savait quel effet auraient ses gestes sur le public.»
Mais à y réfléchir, tout me semble mal fagoté dans cette entreprise. Je comprends d’abord mal le soin que l’Office du tourisme met à sacrifier sa vache à lait. C’est scier la branche sur laquelle il est assis. Faire de Sissi une femme libre peu soucieuse de son apparence me semble par ailleurs heurter l’image avérée d’une personne anorexique et corsetée passant trois heures par jour à sa coiffure. Toute la presse aura certes parlé sans commentaires acides du geste viennois «déconstructeur». Mais quel en sera au fait l’impact? La chose donne surtout l’idée de gens de musée jouant avec les idées et les objets au frais du contribuable, et ce à rebours de ses désirs populaires. Un musée ne devrait aujourd’hui plus offrir de plaisir, mais des pistes de sombres réflexions. Un peu comme le théâtre subventionné. Ou l’opéra revisité par des metteurs en scène déguisés en têtes pensantes.
Le cas Anish Kapoor
Voilà qui ne me semble pas facile à faire avaler dans un pays où Sissi, vraie ou fantasmée, reste une icône. Plus politiquement, la chose me paraît maladroite dans un pays miné par une droite musclée sans cesse aux portes du pouvoir. J’y vois de l’inconscience, à moins que l’Office du tourisme n’entende bien sûr jouer les taupes des extrémistes… Il appuie ici sur un nerf sensible. Gare aux réactions épidermiques! Toujours violentes. On a vu en 2015 dans le parc de Versailles ce qui s’est passé avec le pseudo «Vagin de la reine» d’Anish Kapoor, qui était pourtant une authentique œuvre d’art. Plusieurs vandalismes sont nés de l’incompréhension. On aurait touché à Marie-Antoinette, ce qui n’était pourtant pas le but d’un artiste britannique devenu très «establishment»… God Save the Queen!
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Politique culturelle – Vienne cache un portrait de Sissi par féminisme
L’initiative part de l’Office du tourisme. Une œuvre conceptuelle masque le tableau afin de rappeler que l’impératrice était une femme libre.