Cet article est le premier d’une série sous forme de chronique qui se fera le récit d’une aventure dans l’entrepreneuriat d’impact: un partage d’expériences, de défis et de réflexions illustré par le développement de KOLI, une solution d’emballages réutilisables pour l’e-commerce.
Quand j’ai décidé de lancer KOLI, je présentais cet embryon d’activité comme un «projet à impact» visant à développer une «alternative durable» aux emballages d’expédition à usage unique.
Mes premières présentations du concept durant l’été 2021 évoquaient «des emballages responsables» pour «faciliter un impact positif sur l’environnement, la société et l’économie».
Comme bon nombre d’individus, d’organisations et d’entreprises, j’ai mis les deux pieds dans un piège sémantique que je n’avais naïvement pas suffisamment évalué. L’impact, la durabilité – des notions évoquées quotidiennement, des termes un peu à la mode, des mots finalement galvaudés.
C’est en passant de l’idée à l’action et en me confrontant à mes potentiel·les client·es et utilisateur·rices d’une part, et à la réalité opérationnelle d’autre part, que j’ai réalisé les ambiguïtés qui entourent ces thématiques. Premiers pitchs, premières questions. Premier syndrome de l’imposteur aussi d’ailleurs.
Mes intentions sont bonnes, mais dans quelle mesure la proposition de KOLI a-t-elle vraiment de l’impact? Les emballages que nous développons sont-ils réellement durables?
L’entrepreneuriat à impact, que du positif?
Une étude menée conjointement en 2022 par BPI France LeHub et France Digitale établit trois niveaux pour classer les entreprises selon leur impact.
Le plus avancé désigne celles qui ont un «impact by design», c’est-à-dire qui développent un modèle d’activité répondant spécifiquement à un enjeu social ou environnemental. L’impact se trouve au cœur de leur mission, c’est le moteur de l’activité.
C’est à cette catégorie que s’identifie KOLI, avec une vision: faire de la circularité la nouvelle norme dans l’industrie de l’emballage, contribuant ainsi à diminuer l’empreinte carbone du secteur e-commerce en particulier.
Nous souhaitons ainsi apporter une pierre à l’édifice du développement durable, défini comme un «mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs» (Brundtland, 1987).
Peut-on néanmoins parler d’impact positif comme je l’évoquais dans mes premières présentations? Concevoir et industrialiser un objet, quelle que soit sa noble cause, entraîne nécessairement des effets collatéraux qui peuvent être positifs (une amélioration, comme une réduction de déchets) ou négatifs (par exemple des émissions de gaz à effet de serre).
«Il serait préférable de qualifier les emballages réutilisables non pas de «durables», mais de «plus durables» que la solution communément utilisée, soit la version jetable.»
L’économie d’impact étant la somme de toutes ces externalités, estimer l’impact de KOLI revient à évaluer les nombreuses ramifications de sa chaîne de valeur. L’exercice est complexe car multidisciplinaire, et d’autant plus difficile que l’entreprise est jeune.
Il requiert de pouvoir jauger des indicateurs dans un contexte où de nombreuses inconnues subsistent et où les budgets disponibles ne permettent généralement pas de mandater des expert·es pour une analyse de cycle de vie. Quelles mesures peuvent être raisonnablement attendues d’une activité à l’aube de son développement?
Les considérations vont des matériaux aux partenaires et fournisseurs, en passant par les ressources énergétiques, la production, le transport, la fin de vie des produits… la liste n’étant de loin pas exhaustive. C’est ça, être «responsable» : faire des choix réfléchis sur les dimensions environnementales, sociales, et de gouvernance qui jalonnent une activité.
Tout l’enjeu est d’atteindre l’impact positif au sens mathématique du terme (externalités positives > externalités négatives), c’est-à-dire pour KOLI de réaliser sa mission tout en s’employant à ce que les conséquences sur les autres paramètres soient minimales.
Mais produire un emballage, quand bien même sa finalité est louable, ne génère pas concrètement un impact positif – c’est impossible; cela l’améliore, le réduit, dans un contexte précis. C’est pourquoi il serait préférable de qualifier les emballages réutilisables non pas de «durables», mais de «plus durables» que la solution communément utilisée, soit la version jetable.
Néanmoins, l’offre de KOLI peut-elle être considérée un «sparadrap», la problématique de fond étant la croissance du e-commerce?
Un questionnement perpétuel entre convictions et paradoxes
Si tout·e entrepreneur·e se pose par définition un milliard de questions, celui ou celle qui se lance dans l’ascension du Mont Impact décuple ses interrogations.
La réutilisation d’un contenant impliquant un processus d’hygiène, ne crée-t-on pas une consommation d’eau supplémentaire? Avoir recours à du PET recyclé est-il une fausse bonne idée? «Upcycler» (donner une seconde vie à) des matériaux venus des pays de l’Est est-il mieux que d’utiliser de la matière neuve sourcée à quelques centaines de kilomètres de Genève? Les habitudes de consommation et les préconceptions ne facilitent pas toujours la démarche. Faut-il faire passer la durabilité à coups de carottes ou de bâtons? Impossible de faire tout juste, mais vaut-il mieux contribuer à la solution de manière imparfaite ou se résigner au statu quo?
Les convictions personnelles sont vite sous pression dès qu’on met dans la balance les minimums de quantités demandés par les usines, les attentes des client·es et utilisateur·rices, et les contraintes financières inhérentes aux débuts d’un parcours entrepreneurial.
«La durabilité n’est pas un objectif en soi, plutôt une forme de quête (…)»
Mais où placer le curseur lorsqu’on débute? Dans quelle mesure les compromis sont-ils envisageables? Doit-on être exemplaire lorsqu’on est une entreprise à impact?
Paradoxalement, la sphère publique semble parfois manquer d’indulgence envers ces dernières: on pointe plus volontiers du doigt les failles de leur solution que les frasques des grandes entreprises auxquelles nous sommes malheureusement habitué·es. L’opinion publique est-elle trop exigeante vis-à-vis de ces créateurs·rices d’entreprises à mission?
Toutes ces questions, et bien d’autres, je me les pose depuis le début de KOLI.
Une réponse commune? La durabilité n’est pas un objectif en soi, plutôt une forme de quête: rien n’est idéal mais tout est perfectible, c’est un cheminement vers le mieux à travers un prisme multi-facettes.
En écho à ce raisonnement, KOLI change de nom et deviendra «Reqwst» dès février 2023. Nouveau patronyme, même mission, et un lancement imminent avec toujours autant de défis à relever.

Virginie Bauman
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Entrepreneuriat d’impact – Une quête sur fond de piège sémantique?
Si les termes «impact» et «durabilité» ont aujourd’hui le don d’ubiquité, leur omniprésence n’empêche pas une certaine confusion quant à leurs définitions exactes. Alors comment les appliquer lorsqu’on lance une entreprise? Quelles en sont les implications quand l’impact est au cœur de la mission?