
A chaque jour suffit sa peine… On connaît l’adage. Reste que faire la même chose 365 fois par an, dimanches et fêtes compris, peut se révéler contraignant. Répétitif. Ce sont là les exercices à la barre de la danseuse. Les gammes du pianiste. Il y a des moments où celui-ci enverrait volontiers son clavier se balader. Mais il ne le peut pas. L’homme ou la femme s’est promis cet exercice quotidien. Il se doit de rester fidèle à ses intentions. Une lutte perpétuelle contre soi-même, où il n’y a apparemment que des perdants. Aime-t-on encore ce que l’on fait après un certain temps?
Il y a pourtant trois décennies que se poursuit l’initiative «Une photo par jour», dont quelques extraits se verront proposés «pour de vrai», tirés sur le papier baryté, à l’Espace Fert, 7, rue Barton. Un ancien garage recyclé (lui aussi!) dans le culturel. Il semble permis de voir ici le nouvel épisode d’une véritable odyssée. Voilà qui mérite donc un récit homérique. «Je pars il y a trente ans pour un voyage en Afrique avec une dame», explique Francis Traunig à table, avec sa véhémence habituelle. «Je prends avec moi des tonnes de matériel. Je n’utilise pas un seul rouleau au Sahara.» Retour bredouille en Suisse. «Je réintègre alors mon magasin. Je me dis que je vais me forcer à donner une image par jour, que je sois inspiré ou non. Ce sera du 6x6. J’aurai un calepin pour noter les légendes, histoire de ne rien oublier et de faire mon décompte final.» Il faut dire que nous demeurons pour les jeunes générations dans une sorte de préhistoire. Dans les années 1990, la photographie reste argentique et nul ne parle, à part quelques branchés, de sites internet.
«Le numérique a changé la donne. Il était devenu possible d’envoyer son œuf du jour sur un site conçu pour cela.»
Francis se voit bientôt rejoint par des amis photographes. Il se crée ainsi créé une émulation. De nouvelles contraintes se voient librement acceptées. Il s’agit de ne pas flancher devant les autres. Nul ne peut pourtant découvrir le travail de ses petits camarades, sinon lors de rencontres amicales. Il se déroule juste, une fois par an, la présentation des résultats à Nyon dans le cadre des activités de la galerie Focale. «Il y a ainsi eu trois accrochages au château», se souvient Isabelle Meister. «Chacun assurait la mise en scène de sa production.» Tout aurait pu s’arrêter là. Il y a du reste eu une longue interruption. Francis va cependant reprendre le flambeau après une rencontre avec son ami Max Jacot. «Le numérique avait changé la donne. Il était devenu possible d’envoyer son œuf du jour sur un site conçu pour cela. Les participants pouvaient devenir de plus en plus exotiques. Nul besoin désormais de matérialité physique.» Reste qu’il y a eu une querelle d’école, aujourd’hui résolue après un schisme digne des papes du Moyen Age. Fallait-il poster une image chaque jour ou s’obliger à expédier la photo du jour, réussie ou non? Cette dernière solution a prévalu.
Le nez en l’air ou l’œil vissé sur le trottoir
Il en résulte comme un pari. «Il y a des jours, évidemment rares, où je pourrais envoyer quinze clichés qui me plaisent», reprend Isabelle Meister. «Il me faut alors en retenir un seul, ce qui peut sembler frustrant.» Cela le devient d’autant plus qu’il y a ensuite les «jours sans». «Je ressens un petit passage à vide, mais il faut faire avec». Apprendre à l’apprécier. «Maintenant, j’avoue aimer ces moments où je vais montrer du peu, et même du rien. Cela m’aiguise le regard» De toute manière, il ne subsiste que peu d’œuvres ayant compté dans une carrière ou un parcours. «Je suis fier d’une trentaine de choses réalisées pour «Une photo par jour» au fil de décennies de pratique. Pas davantage», assure Francis Traunig. Tant pis! «Je n’en ai pas moins gardé mes appétences et mes appétits. Le résultat m’a fait découvrir sur la durée que je traitais toujours les mêmes choses m’attirant. Et c’est normal! On tend à regarder la vie le nez en l’air ou l’œil vissé sur le trottoir.» Pour Francis, ce serait plutôt le nez en l’air. Question de tempérament. L’homme entend «rester aux aguets» et conserver ses «pathologies motrices».
«J’avoue aimer aujourd’hui ces moments où je vais montrer du peu, et même du rien.»
«Pour moi, revenir à «Une photo par jour» tient aussi de la réintégration au sein d’une équipe», complète Isabelle Meister. «J’ai repris il y a cinq ans. Je postais auparavant des images sur Instagram. C’est là que Francis m’a retrouvée.» L’entreprise est devenue différente de ce qu’elle était au départ à Nyon. L’ancrage local a disparu. «Il se retrouve avec nous des gens de toutes les générations venant de pays différents. Certains sont des professionnels. D’autres se présentent comme des amateurs.» Il est permis de voir là un côté à la fois œcuménique et coloré, le tout sans ce côté insupportablement opportuniste qu’a pris le mot «diversité» dans la bouche des politiciens genevois.
Une hygiène de vie
Il y a quelques années, «Une photo par jour» avait pris ses quartiers pour quelques jours à l’étage d’un bâtiment au bord du Rhône, à la Jonction. «Il y a un moment où il faut savoir quitter l’écran pour le monde réel», déclare Francis Traunig. Cette fois, ce sera donc à l’Espace Fert dès le 26 novembre. «Nous serons là dans le cadre de nos activités d’association à but non lucratif, qui s’est par ailleurs un peu promenée, notamment dans la Drôme» Les auteurs resteront responsables de leurs images. Vous pensez bien que ces gens auront dû faire un choix sévère, suivi d’une sélection impitoyable. «Il y aura entre trente et cinquante tirages papier pour chacun des quatorze participants», complète Isabelle Meister. La chose ne durera que peu de temps, ce qui renforce l’idée d’événement. «Ensuite nous repartirons pour un tour en 2022, avec si possible de nouveaux moments de grâce». Et tant pris s’il y aura fatalement aussi des moments creux! Toujours optimiste, Francis Traunig parle au final à propos d’«Une photo par jour» d’une «hygiène de vie».
Pratique
«Une photo par jour», Espace Fert, 7, rue Barton, Genève, du 26 novembre au 6 décembre. Site www.unephotoparjour.ch Ouvert de 10h à 18h. Vernissage public le 26 novembre dès 18 heures. Les photographes présents sont Schlomith Bollag, Michel Bruno Girardin, Gérard Dubois, Aurélien Fontanet, Lisa Frisco, Justine Grespan, Basil Huwyler, Michel Israelian, Pascal Kempenar, Isabelle Meister, Anna Salzmann, Nicolas Spühler, Francis Traunig et Tristan Zilberman.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
Plus d'infosVous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Aventure artistique à Genève – «Une photo par jour» s’expose sur papier à l’Espace Fert
L’aventure a commencé dans les années 1990. Elle continue depuis longtemps sur un site. Chaque membre du collectif doit envoyer sa production de la journée.