
Cela peut sembler bizarre, voire contre nature. Une «Cinquième Biennale de l’art brut» sent de prime abord la sélection, nationale ou internationale, le commissariat presque politique et surtout une redoutable mise en compétition. Rien de plus contraire à l’esprit de Jean Dubuffet, même si ce dernier (qui n’en était pas à une contradiction près) a accepté par deux fois de participer à celle de Venise. Ces idées se voient vite balayées à la Collection de l’art brut de Lausanne! L’actuelle manifestation, prévue jusqu’au 1er mai, constitue une simple exposition. Mieux encore, le contenu de cette dernière puise entièrement dans un fonds propre devenu surabondant. Il y a même là des œuvres parfois vieilles d’un siècle. Notez que la Biennale de Venise s’est récemment offert quelques flash-back allant du mystique Rudolf Steiner au Tintoret…
Des pièces parfois minuscules
Conservatrice dans l’institution, Anic Zanzi a ainsi tiré des réserves, puis mis en valeur quelque 300 œuvres. Elles ne se retrouvent pas sous les toits, comme c’est ici la règle pour les propositions temporaires. La biennale occupe le rez-de-chaussée, autrement dit l’espace liminaire, plus une salle du premier étage. Cela peut sembler peu pour 300 pièces. Mais il s’agit la plupart du temps de dessins à la taille réduite, voire minuscule. Autant dire qu’un seul mur peut accueillir beaucoup de choses, d’autant plus que la commissaire n’a pas eu peur d’une présentation serrée. A juste titre, d’ailleurs. Le monde brut n’a pas le côté anorexique de l’art contemporain. Il n’aime pas les «white cubes» sentant un peu l’hôpital. C’est la raison pour laquelle le musée a opté dès son origine (à l’encontre de tout ce qui se faisait dans les années 1970) pour des murs noirs. Sauf pour les quelques salles donnant sur l’extérieur. Le noir reflétait un univers finalement claustrophile.

Il fallait bien sûr un thème un peu vague, comme pour toutes les biennales. Anic Zanzi a opté pour les «Croyances». Il s’agit typiquement à Lausanne d’un mot-valise. Il peut bien sûr rester question de la foi au sens le plus classique du terme. Nombre d’artistes bruts possèdent un côté mystique. Italien émigré au Canada, Palmerino Sorgente (1920-2005) en donne ici l’exemple le plus clair. Le public voit de lui trois immenses chapeaux en forme de cônes, recouvert de motifs et d’inscriptions dévotionnelles. L’homme se proclame de plus «Pape Palmerino, serviteur de Jésus». Bien plus célèbre, Victor Simon (1903-1976) fait pour sa part partie des créateurs guidés par les esprits. Une manière selon Anic Zanzi de ne pas assumer pleinement ses créations. Celles-ci étant effectuées sous dictée, l’artiste demeure une simple main en train d’exécuter. Né en 1947, Michel Nedjar se dit pour sa part fasciné par les poupées fétiches. Il décrit son travail comme un «rituel d’être». L’art pour l’art reste finalement rare dans le monde qualifié de «brut».
Un art à redéfinir
Mais qu’est-ce aujourd’hui précisément que ce «monde brut»? Tout a bien changé depuis les définitions, parfois oscillantes, que lui avait données Dubuffet dans les années 1940. C’est maintenant une forme créative reconnue, même si elle demeurait au départ secrète ou même clandestine. Le côté douloureux a disparu, ou presque. Il n’y a par exemple plus de «fous», mais des personnages «mentalement différentes». Soyons corrects. L’idée d’une forme esthétique imaginée par des gens n’ayant jamais eu accès à aucune culture classique ne peut plus guère avoir cours dans notre monde gavé d’images. Comme pour la plupart de nos contemporains, leur flux sert aujourd’hui de base à des créations ultérieures. Le statut de l’art brut a surtout changé. Il est devenu «mainstream». Le simple fait de lancer un musée, comme celui de Lausanne (qui a ouvert ses portes en 1976) a modifié le regard. Un vedettariat s’est vite créé, avec des gens comme Madge Gill, Augustin Lesage ou Aloïse. Le marché commercial a du coup pris son essor.

Une exposition comme «Croyances» présente bien sûr ces stars maison. Mais elle donne aussi un large aperçu de ce qui se fait aujourd’hui. Décédé l’an dernier, Marc Moret était paysan à Vuadens, dans le canton de Fribourg. Végétarien, il a commencé par écrire avant de peindre dans sa ferme. Disparue elle en 2020, l’Indonésienne Ni Nyoman Tanjung avait commencé tard sa production. Celle-ci a été observée, encouragée et diffusée par un certain nombre d’Occidentaux, dont le Genevois Georges Breguet. Les autres continents sont donc entrés en considération, ce que n’avait pas fait Dubuffet. Il y a à Lausanne l’Africain Ataa Oko, l’Haïtien Guyodo, la Chinoise Guo Fengyi ou la Jamaïcaine Elijah. Notons cependant qu’ils restent très minoritaires aux cimaises. Comme les vivants, du reste… L’art brut peine à se tirer de son image historique pour trouver de nouvelles voies. A moins de prendre en considération, ce que le musée vaudois ne fait pas, le graffiti. Un art lui aussi, du moins au départ, sauvage et subversif.
Livret biographique
Cela dit, «Croyances» passe fort bien la rampe. Le visiteur se laisse séduire puis emporter, même si ses préférences restent forcément individuelles. L’accrochage serré constitue une réussite. Une bonne idée a été de fournir au public un petit livret gratuit avec les biographies des quelque 43 artistes. Certaines d’entre elles se révèlent nécessaires à la compréhension. Il y a par ailleurs des films à découvrir sur un moniteur. Autant dire qu’une visite un peu sérieuse prend du temps!
Pratique
«Croyances, 5e Biennale de l’art brut», Collection de l’art brut, 11, avenues des Bergières, Lausanne, jusqu’au 1er mai. Tél. 021 315 26 70, site www.artbrut.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.
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Exposition à Lausanne – Une biennale pour la Collection de l’art brut
Il s’agit en fait d’une grande exposition sur le thème des «Croyances». Il y a là 300 œuvres présentées de manière serrée. A découvrir d’ici mai.