
Les choses vont durer longtemps, et ça va faire mal. Une véritable guerre de tranchées. Rassurez-vous! Je ne vais pas vous parler de l’Ukraine. Il s’agira aujourd’hui moins tragiquement du Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH). Vous avez peut-être lu dans la «Tribune de Genève» (TG) de mercredi que le Conseil administratif avait dévoilé son nouveau projet. Un de plus, me direz-vous! Il s’agit en plus là d’une esquisse. Le temps de prendre (ou de perdre) son temps. Si tout va bien, ce dont je me permets d’ores et déjà de douter, le bâtiment rénové et l’annexe construite n’ouvriront qu’après 2030. La date à laquelle se voit prévue la fin des travaux. Autant dire qu’une partie du personnel, tant politique que muséal, aura été renouvelée d’ici là. «Gone With the Wind»…
«L’échec de la précédente rénovation était dû à une addition de non. Notre stratégie actuelle est d’additionner les oui.»
Mais revenons aux faits. Frédérique Perler, actuelle mairesse de Genève et Sami Kanaan, inamovible responsable de la culture, ont réuni le lundi 2 mai trois commissions du Conseil municipal afin de leur présenter leur avant-projet. Ce dernier a largement eu le temps de mûrir. Je vous rappelle que les habitants de la commune de Genève ont retoqué le plan Jean Nouvel à 54 pourcent en février 2016. Je reprends ici une citation du journaliste TG Théo Allegrezza, au nom heureux. «L’échec de la précédente rénovation était dû à une addition de non. Notre stratégie actuelle est d’additionner les oui». Ce retournement du balancier passe par des concessions. Elles feront sourire les opposants qui ont fait retomber le soufflé architectural signé Jean Nouvel. Les nouvelles orientations sortent en effet tout droit de leur plan B, dont Sami Kanaan (Frédérique Perler n’existait alors pas encore) avait à l’époque imprudemment affirmé qu’il n’existait pas.
La mode des terriers
Quelles sont celles-ci? Tout d’abord la reprise de l’ancienne école aujourd’hui occupée par la HEAD. Une extension logique, admise depuis longtemps. Il n’y a en revanche plus de creusement à côté, sous le préau où j’ai joué enfant. L’idée est maintenant de se glisser à l’intérieur de la butte située de l’autre côté de la rue Charles-Galland, là où se trouvait jadis un observatoire. La nouvelle partie serait du coup largement souterraine comme celle du MEG, ex-Musée d’ethnographie. Le terrier devient culturel de nos jours. Le MEG actuel forme ainsi déjà une sorte de réplique du nouveau Museum Rietberg de Zurich. Les bonnes idées flottent dans les airs. Vous me répondrez qu’il y a sous la butte des installations techniques menant à la «gaine» courant profondément dans les Rues Basses. Mais la chose importe visiblement peu. Il y a aussi ici l’un de nombreux souterrains qui se trouvaient sous les anciennes fortifications de la cité. C’est en apparence sans conséquences.
«Le musée actuel ressemble à une forteresse sur un îlot cerné par deux importantes voies de circulation.»
La grande peur des magistrats reste effectivement de devoir abattre des arbres. Ces derniers sont devenus sacrés, même si j’en vois souvent, et de fort beaux, sciés discrètement par les services dits compétents sur les trottoirs genevois. La Verte Frédérique Perler regrette par ailleurs que le MAH «ressemble à une forteresse sur un îlot cerné par deux importantes voies de circulation». Ce à quoi Sami Kanaan, en galant homme, lui rétorque qu’on pourrait transformer le boulevard Emile Jaques-Dalcroze en promenade urbaine reliant la Vieille Ville au centre. Nous sommes chez nous dans un temps des «piétonnisations» et de la «végétalisation». C’est promis. On dansera bientôt à Genève sous les ormeaux, comme dans la chanson de Jean-Jacques Rousseau.

Et combien coûterait la chose actuelle, qui devrait déboucher sur un crédit (un de plus!) d’étude et un concours d’architecture? Là, les prix ont pris l’ascenseur, même si le Conseil administratif est revenu sur un premier plan, que des indiscrétions disaient de 300 millions. Je vous rappelle qu’on parlait dans les années 1990 d’une rénovation coûtant une dizaine de millions. Il y a ensuite eu, après le lancement de l’idée d’un agrandissement, les chiffres de 40, puis de 80, puis de 100 et enfin de 130 millions. On en restait là au moment de la votation, alors que Genève tenait en la personne de Jean Claude Gandur un mécène prêt à verser 40 millions. Aujourd’hui, sans sponsor privé déclaré, le chiffre articulé est de 200 millions, «avec une marge d’incertitude de 25 pour-cent.» On remarquera que la somme correspond à celle de la Maison de la Musique prévue sur la place des Nations. Un projet balayé à une courte majorité pat les habitants de la Ville en 2021. On peut toujours espérer que la cagnotte de la «fondation ne donnant pas son nom» (lisez la Fondation Hans Wilsdorf) servira du coup au MAH. Sami Kanaan voit des «signaux positifs» chez les mécènes… Et il faudra selon lui intéresser le Canton.
Divergences à combler
Beaucoup de problèmes n’ont apparemment pas été évoqués. Il n’est pas question du musée archéologique, toujours à construire juste en face sur le bastion Saint-Antoine. Il y a du reste sans doute aussi de quoi fouiller scientifiquement un peu plus loin. Je n’ai lu aucun mot sur le Musée Rath, tombé en déshérence, ou sur la Maison Tavel, à l’avenir incertain. Il faudra pourtant bien leur trouver un destin. Si certaines associations d’habitants ou de protection du patrimoine se sont vues associées, je n’ai pas observé tous les noms. Or Patrimoine Suisse Genève se montre plus accommodant que Contre l’enlaidissement de Genève. Je n’ai rien vu non plus sur le contenu, qui divisera fatalement les opinions. Les uns voudraient un musée classique. Les autres une machin historico-artistique suivant la feuille de route fixée en son temps par MM. Mayou et Hainard. Il y a enfin les partisans d’une sorte de fête à neuneu perpétuelle, le musée devenant aujourd’hui pour eux un outil de cohésion sociale.
A quand le référendum?
Il faudra aussi se mettre d’accord sur la somme des objets à exposer. On sait que «le public ne découvre en ce moment que les trois pourcents des collections», mais on ignore au fait combien d’items le MAH possède au juste. J’ai lu 600 000. J’ai aussi lu un million. C’est trop. La chose nécessite une sévère sélection, dont les critères ne feront pas l’unanimité. Le MAH est riche. Très riche. Mais quantitativement. Même en admettant que l’audit effectué il y a une quinzaine d’années ait été sévère, les collections n’abritent de loin pas que des chefs-d’œuvre. Le déchet y est énorme sur le plan qualificatif par rapport à Bâle ou Zurich. En tout cas pour un musée d’art. Mais qu’en est-il, si l’on introduit l’histoire? Ne ferait-elle pas passer bien des pilules? Vous voyez qu’on n’en a pas fini de phosphorer dans une ville où l’on a toujours beaucoup parlé pour finalement peu réaliser! A quand le référendum municipal?
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Politique culturelle – Un projet à 200 millions pour le MAH genevois
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