Jusqu’en 2019, le plus fréquent était qu’un employé du secteur tertiaire travaille dans les locaux de son employeur. Depuis la pandémie de coronavirus, ces employés travaillent de plus en plus depuis chez eux. Ce changement plutôt bien accueilli n’est pas sans impact sur le lieu d’imposition des salaires. En Suisse, cette question n’a pas la même réponse selon qu’on la considère à l’échelon national, cantonal ou communal.
En droit international, la convention modèle de l’OCDE prévoit à son article 15 qu’un salaire n’est imposable que dans l’Etat de résidence, sauf si l’emploi est exercé dans l’autre Etat contractant. A noter que l’imposition dans l’Etat du lieu de travail n’empêche pas une imposition dans l’Etat de résidence, avec un crédit d’impôt, mais il faut le prévoir. C’est tout le problème de l’accord de 1974 sur les frontaliers avec l’Italie, qui prévoit une compensation financière, mais pas de droit d’imposer pour notre voisin du sud. Le nouvel accord en cours de ratification permettra à l’Italie d’imposer les nouveaux frontaliers.
La situation avec la France est encore plus complexe, car la Suisse a conclu avec en 1983 un accord qui renverse le principe pour huit cantons seulement : Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura. Les frontaliers qui travaillent dans ces cantons ne sont imposables qu’en France, qui rétrocède 4.5% des rémunérations brutes à la Suisse. Ceux qui travaillent dans les autres cantons sont soumis à l’impôt à la source suisse. Le canton de Genève rétrocède en outre depuis 1973 3.5% de la masse salariale brute des frontaliers aux communes voisines.
Dans ce contexte, le télétravail des frontaliers résidents français dont l’employeur ne se trouve pas dans un des huit cantons précités pose problème, car la France a introduit en 2019 un impôt à la source sur les revenus générés sur son territoire. L’employeur genevois ou fribourgeois par exemple devrait dès lors s’enregistrer en France et prélever l’impôt à la source français sur la part de la rémunération afférente au télétravail de son employé, dès le premier jour de télétravail. Il serait bon que la Suisse s’entende avec la France pour tolérer un jour de télétravail par semaine sans conséquence fiscale française.
Au niveau intercantonal, seul le canton de résidence de l’employé a le droit d’imposer son salaire. La loi ne prévoit en effet des exceptions que pour les activités indépendantes et les immeubles. On se souvient qu’à la fin du siècle passé, le canton de Genève a essayé d’assujettir les pendulaires vaudois aux impôts genevois, ce qui s’est soldé par un échec devant le Tribunal fédéral. La tendance au télétravail ne peut que renforcer le principe de l’imposition au lieu de résidence de l’employé.
Enfin, la solution intercommunale dépend d’abord du droit cantonal, qui prévoit en principe un rattachement du salaire à la commune de domicile, avec souvent des correctifs. A Genève par exemple, chaque commune se voit attribuer une « part privilégiée » des salaires de ses résidents qu’elle peut imposer, qui varie de 20% à 80% plus la commune a besoin de ressources. Il ne suffit ainsi pas de déménager à Cologny ou à Genthod pour faire varier beaucoup ses impôts communaux, il faudrait aussi y travailler.
A noter qu’à Genève, un projet de loi déposé en 2014 tout comme une récente initiative populaire aimerait attribuer toute l’imposition des salaires à la commune de domicile. Ces développements font du sens dans la mesure où les communes de domicile supportent tous les coûts d’infrastructure liés à l’accueil des habitants (routes, écoles, crèches etc.), tandis que la commune où se trouve l’employeur peut imposer celui-ci sur son bénéfice. Le développement du télétravail ne fait que renforcer cette tendance.
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Différences salariales – Un principe à géométrie variable
Un salaire peut être imposé soit au lieu où se trouve l’employeur, soit au lieu où réside l’employé. De nombreuses solutions prévalent en Suisse.