
C’est un projet un peu fou, mais il en faut comme ça de temps en temps. Paul Atkin, un Anglais comme on les aime pour leur sens de la démesure, veut reconstruire quelque part à Venise le Teatro San Cassiano. Un bâtiment historique plusieurs fois modifié et finalement détruit en 1812, au plus sombre de l’occupation napoléonienne. Un drame pour la cité, haïe par l’empereur. D’abord déconsacrées, de nombreuses églises ont alors disparu, dont San Giminiano qui fermait la place Saint-Marc. Le San Cassiano a marqué une date dans l’histoire du spectacle lors de son ouverture en 1637 avec l’«Andromeda» de Francesco Mannelli sur un livret de Benedetto Ferreri. Bien qu’appartenant à la famille patricienne des Tron, ce fut la première salle de spectacles ouverte au public payant.
Le Globe londonien comme modèle
«Il y avait alors 153 loges pour deux personnes, sur cinq étages», explique Paul Atkin, relayé par le précieux «Il Giornale dell’arte». «Plus un parterre pouvant accueillir 99 autres spectateurs. Il s’agissait donc d’un établissement intime.» Rien à voir avec La Fenice, qui se construira à la fin du XVIIIe siècle. Le Britannique a eu l’idée de restituer la salle après avoir vu celle du «Globe» à Londres, ouverte en 1999. Restitué à l’identique bien après sa disparition, le lieu permet de voir aujourd’hui le légendaire local de William Shakespeare tel qu’il était vers 1600. «On peut y jouer ses pièces telles qu’il les avait conçues, avec la scénographie prévue.»
«Il y avait 153 loges pour deux personnes sur cinq étages, plus 99 places au parterre. Il s’agissait d’un établissement intime.»
Paul Atkin s’est mis à gamberger. Il a plongé le nez dans l’ouvrage de référence de Sir Simon Towneley Worthorne sur les théâtres vénitiens de jadis (il n’en subsiste presque rien, à part le Malibran, le Ridotto et le Goldoni). Le San Cassiano l’a frappé. C’était selon lui le bon choix. Atkin a alors vendu sa société pour garder l’esprit et les mains libres. Il a investi dans l’affaire quatre millions de livres. Des recherches ont permis de retrouver le plan du théâtre en 1763, plus nombre d’indications sur ses états antérieurs. De quoi avancer. Notre homme se dit fin prêt depuis 2014. Il vient de présenter son projet lors d’un colloque tenu à la Fondazione Cini sur «Salvare Venezia e la sua laguna». Comment mieux repartir, restaurer et reconstruire?
Un endroit à trouver
L’idée, selon son auteur, n’a rien de folle. Le San Cassiano reconstruit quelque part dans la ville (le lieu originel est aujourd’hui occupé par un jardin privé) coûterait 65 millions de livres. Cet argent permettrait de faire travailler vingt-cinq entreprises locales. Son fonctionnement donnerait ensuite du travail, direct ou indirect, à cent soixante personnes. Il lui faudrait en effet, des décors aux costumes, tout le nécessaire pour faire tourner un opéra baroque. La salle deviendrait une attraction pour la ville, morte le soir. Une attraction haut de gamme, je précise. Rien à voir avec les hordes de touristes déferlant le jour sur la place Saint-Marc.
Voilà. Il y a bien sûr très peu de chances pour que San Cassiano renaisse un jour de ses cendres. Il y aurait sans doute aussi des objections. Pourquoi dépenser tant d’argent dans une ville qui se meurt? Il paraît ces temps des images assez affolantes de maisons populaires en voie avancée d’effondrement, non pas à cause de la montée des eaux mais suite d’un abandon prolongé. Cela dit, avec beaucoup de peines, de notables problèmes judiciaires (et énormément d’argent souvent gaspillé, pour ne pas dire volé), Venise a finalement bien restitué sa Fenice, victime d’un incendie plus ou moins accidentel en 1996…
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Patrimoine culturel italien – Un Anglais veut ressusciter à Venise le Teatro San Cassiano
Souvent transformé, le bâtiment originel a été démoli en 1812. Ce fut en 1637 le premier opéra payant, ouvert au public. Le reconstruire est possible.