
Encore un mois à tenir, dans le meilleur des cas, avant de retrouver tout le monde au bureau. C’est dur de ne pas se voir. Cette impression que l’entreprise, que les collègues se sont dématérialisés. Je ne lève plus la tête dans l’open space pour mesurer les forces en présence, mais consulte Slack, le mouchard qui m’indique le statut de mes collègues.
OK, il est en ligne. Mais alors pourquoi ne répond-il pas?
Comme si le ras-le-bol ne suffisait pas, une insidieuse paranoïa s’est généralisée, à portée de clic. Côté employeurs comme du côté des employés.
«L’idée même de réduire la productivité et la valeur des employés à une série de points sur une courbe, c’est passer à côté de l’essentiel.»
Bien sûr, l’entreprise est un lieu de vie, de retrouvailles entre pairs partageant des caractéristiques et des codes communs – ceux de la fameuse culture d’entreprise – d’échanges, d’expériences sociales qui ne sont pas uniquement liés à l’exécution de nos tâches. En isolement à la maison, forcément, les liens se distendent. Et de part et d’autre, les positions se crispent. Une crispation qui nous bloque en surface. Alors que les maux sont peut-être plus profonds.
Pour beaucoup, une perte de sens généralisée semble s’être installée, la crise du Covid ne l’ayant que renforcée. Les réunions sans fin, demandes absurdes ou événements sociaux «futiles» accentuent le décrochage. L’idée même de réduire la productivité et la valeur des employés à une série de points sur une courbe, à un bénéfice net par individu, c’est passer à côté de l’essentiel: comprendre l’élément humain des données.
La loyauté et la culture d’entreprise ne se lisent pas dans des graphiques ni ne dépendent de l’endroit où le travail est effectué, mais bien de la manière dont il est réalisé, célébré, récompensé et supervisé.
Julien de Weck est journaliste, rédacteur en chef du magazine Bilan. Passé par la banque et la photographie, le print et les Internets. Histoires(s), défis d'aujourd'hui et solutions de demain.
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