Même si ce n’est pas intuitif, la Suisse dispose de la 4e flotte maritime d’Europe (loin derrière la Grèce, et juste après le Danemark et l’Allemagne) et de la 9e du monde. Le commerce maritime en Suisse, ce sont 55 sociétés qui exploitent au total plus de 900 navires, qui assurent 22% des transports de matières premières dans le monde. Ce sont aussi 2000 emplois, qui pourraient plus que doubler en cas d’adoption d’une taxe au tonnage, selon une étude de l’Institut CREA à Lausanne.
Qu’est-ce qu’une taxe au tonnage? C’est en fait un mode de détermination forfaitaire du bénéfice imposable résultant de l’exploitation d’un navire de mer. Tous les principaux concurrents de la Suisse ont introduit ce principe dans leur droit il y a de nombreuses années. Le Parlement fédéral avait discuté du sujet lors du projet de RIE III, avant de l’en sortir pour simplifier ce dernier. À la suite d’une consultation largement favorable en 2021, le Conseil fédéral a envoyé le 4 mai 2022 un projet de loi au Parlement.
L’auteur de ce blog ayant participé à la prise de position de l’Ordre Romand des Experts Fiscaux, le but de cette contribution est d’examiner dans quelle mesure les commentaires exprimés dans celle-ci ont été pris en compte.
À l’article 73 P-LIFD, les activités qui peuvent être soumises à la taxe au tonnage ont été complétées, tout en restant exhaustives. Mais à l’alinéa 3 lettre c, les bénéfices provenant des activités accessoires restent limités à celles exercées «à bord du navire», ce qui exclut le transport des passagers ou des marchandises de leur point d’origine au navire. En outre, la limite à 50% des bénéfices résultant de l’exploitation du navire, plutôt que du chiffre d’affaires comme dans l’Union européenne, implique une comptabilité inutile.
La condition que posait l’article 74 P-LIFD réduisait à néant l’intérêt du projet, en exigeant que 60% du tonnage de la flotte du contribuable batte pavillon suisse ou européen, ce qui allait aussi bien au-delà des exigences européennes. Le nouvel article 74 P-LIFD demande à la place qu’un navire qui souhaite bénéficier de la taxe au tonnage soit inscrit au registre d’un pays qui, comme la Suisse, a ratifié les quatre principales conventions internationales sur le trafic maritime.
«Pour lutter à armes égales dans ce secteur où règne une forte concurrence, la Suisse serait bien inspirée d’introduire une taxe au tonnage dans son droit.»
Le calcul du bénéfice net à l’article 75 P-LIFD n’a pas été modifié, mais une réduction a été ajoutée à l’alinéa 3 pour les sociétés qui ne font que gérer des navires, sans en être propriétaires, comme cela est le cas aux Pays-Bas et à Chypre. Une réduction de 30% au maximum (20% dans l’avant-projet) est aussi prévue si le navire répond à certaines exigences écologiques, qui ne sont plus limitées au système de propulsion. Cette extension est à saluer, mais l’on peut se demander si cette réduction est justifiée, compte tenu du fait que le secteur s’est déjà engagé à réduire de 40% ses émissions de CO 2 d’ici à 2030 par rapport à 2008.
Les règles sur le début et la fin de l’assujettissement à l’article 76 P-LIFD ont été laissées inchangées, mais ont été complétées par un alinéa 2 qui prévoit une imposition ordinaire de la différence entre la valeur comptable et la valeur vénale d’un navire au début de son assujettissement à la taxe au tonnage; cette imposition peut toutefois être reportée jusqu’à l’aliénation du navire.
Est-il bien raisonnable d’introduire maintenant un mode d’imposition qui aboutira à un taux effectif inférieur à 15% ? En réalité oui, car l’OCDE a elle-même prévu une exclusion des revenus générés par les activités de transport maritime international dans ses projets de réforme fiscale, et le Conseil fédéral a fait de même dans son projet d’arrêté constitutionnel.
Pour lutter à armes égales dans ce secteur où règne une forte concurrence, la Suisse serait bien inspirée d’introduire une taxe au tonnage dans son droit.

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Commerce maritime suisse – Taxe au tonnage: le projet du Conseil fédéral
Les sociétés de commerce maritime en Suisse n’ont pas le même traitement fiscal que leurs principaux concurrents. Introduire une taxe au tonnage permettrait de créer plus de 2000 emplois.