
Vous vous en souvenez peut-être. Pour leur édition de 2020, les «Rencontres» d’Arles avaient choisi comme affiche une image de Stephan Gladieu, prise en Corée du Nord. Les personnages étaient à l’envers. Les pieds en haut. Pas parce que le pays de Kim Jong Un donne parfois l’impression de marcher sur la tête, mais à cause du concept graphique. L’image devait interpeller le public… qui n’a pas eu l’occasion de venir. Après bien des initiatives pour le sauver du naufrage, le festival a finalement disparu du calendrier pour cause de pandémie. L’exposition en plein air de Stephan a fini par se dérouler en 2021, alors qu’Arles s’était choisi un autre étendard photographique pour rameuter les foules. Ainsi va la vie…
Un collectif fondé en 2015
Stephan Gladieu revient aujourd’hui avec un livre, «Homo detritus», dont beaucoup d’images éparses ont paru dans «Géo», «Le Figaro» ou «Libération». Il ne s’agit cette fois plus de reflets asiatiques, comme c’était le cas avec la Corée du Nord ou l’Afghanistan. Né en 1969 à Bagneux, le photographe est cette fois parti pour la République démocratique du Congo, que l’on a aussi connue comme le Congo belge ou plus tard le Zaïre. Il s’agissait à la fois de visiter un pays immense, dont on vante le dynamisme culturel (1), et d’explorer la face la plus sombre de la gestion des déchets. Considérés comme le huitième peuple le plus pauvre au monde, alors qu’il vit au-dessus d’un sous-sol richissime, les Congolais ont vu leur terre servir de dépotoir pour les produits manufacturés à partir de matériaux provenant de chez eux. Ils en héritent le rebut, apparemment non recyclable. Voilà ce qui s’appelle se faire spolier!

C’est là qu’intervient le collectif «Ndaku ya la vie est belle», fondé en 2015 par Eddy Ekete. Ce groupe, qui rassemble aujourd’hui vingt-cinq plasticiens basés à Kinshasa, crée des costumes fantastiques couvrant le corps et la tête. A partir de résidus, ils retrouvent ainsi le style des parures ancestrales. Il s’agit à la fois d’une explosion de formes ou de couleurs et d’une impitoyable dénonciation du désastre écologique vécu par le Congo. Jouant le jeu, Stéphan Gladieu a créé d’extraordinaires portraits en pied dans un studio de rue improvisé. Il montre ainsi les parures créées par ceux et celles (infiniment moins nombreuses) qui les portent. Il y a aussi bien «La femme aluminium» que «L’homme paquets de cigarettes». Tous les éléments se sont en effet vus soigneusement triés par types de produits et par couleurs, comme c’est le cas pour les draperies de capsules créées par l’équipe du Ghanéen El Anatsui au Nigeria. D’où une impression d’ordre dans le désordre. De beauté aussi. Certaines images me font ainsi fait penser à un Charles Fréger (2) qui aurait fait les poubelles.

Il fallait des mots pour situer culturellement et socialement ces créations fantastiques. Il y a deux textes dans l’ouvrage. Le romancier Wilfried N’Sondé s’est chargé de la longue introduction, ici proposée en français et en anglais. Stéphan Gladieu donne le contexte. «Avec «Homo Detritus», je suis resté fidèle à mes partis pris photographiques en choisissant de réaliser les portraits dans les rues de Kinshasa, le décor et le personnage se répondant.» Le projet «s’inscrit dans la continuité de mon travail qui se nourrit de la réalité du monde.» Le photographe montre et transcende à la fois. Il faut voir les images où la figure et son décor fusionnent dans d’étonnantes couleurs pop. On aimerait tout de suite des tirages plus grands, dans lesquels il serait comme permis de rentrer. Un livre pareil, c’est vraiment fait pour se retrouver sous forme d’exposition et en festivals!
(1) Je citerai le récent «Fiction Congo» du Museum Rietberg de Zurich.
(2) Le Musée des beaux-arts du Locle (MBAL) propose les photos de costumes carnavalesques de Charles Fréger jusqu’au 25 septembre. Une exposition dont je vous ai parlé, et que je vous recommande.
Pratique
«Homo detritus» de Stéphan Gladieu, texte de Wilfried N’Sondé, aux Editions Actes Sud, 104 pages.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Livre de photos – Stéphan Gladieu fait poser l’«Homo détritus»
Le Français est parti pour le Congo regarder comment des artistes créent de fantastiques costumes à partir de déchets polluants déversés chez eux.