
En août dernier disparaissait Michel Laclotte. Un an déjà… Les éditions Scala ressortent du coup ses «Histoires de musées», le mot se voyant soigneusement mis au pluriel. Il ne faut pas limiter l’homme au Louvre, dont il conserva longtemps les peintures. Le scientifique s’est aussi trouvé en amont des projets ayant mené au Petit Palais d’Avignon, puis à Orsay. Une dénomination assez vague que ce dernier mot, dont ne voulait pas au départ François Mitterrand. «Musée d’Orsay, cela ne veut rien dire.» A quoi Laclotte avait répondu afin d’emporter le morceau: «Louvre, Prado, Offices, cela ne veut rien dire non plus.»
Le centre du monde
Michel Laclotte avait vu le jour à Saint-Malo en 1929. Devenu orphelin de père, il était arrivé à Paris en 1941, trois ans avant la destruction de la ville bretonne «par erreur». Un couac allié. L’adolescent a vite découvert dans la capitale ce qui restait visible dans des musées dont les œuvres avaient été pour l’essentiel évacuées. Le petit Michel s’est bientôt intéressé à tout, dans une ville qui semblait redevenue le centre du monde après la Libération. Il y avait les lettres, les arts, la musique et le cinéma. Le brillant élève semblait destiné à devenir chartiste. Une voie royale pouvant mener aux musées. Mais il y avait le latin… Echec. «Dès lors, j’avais deux solutions. Soit continuer à préparer l’école des Chartes, soit passer le concours de l’école du Louvre. C’est ce que j’ai choisi.»

Paru une première fois en 2003, le livre consiste en principe en un long entretien. Avec qui? Le lecteur doit un peu chercher, avant de trouver la réponse en tout petits caractères sur la première page. Il s’agit de François Legrand. Autant dire que ce dernier ne fait pas rebondir la balle. Ses interventions demeurent minimales. Les propos de Michel Laclotte peuvent donc se dérouler sur plusieurs pages. Un long fleuve tranquille. Le pseudo-meneur de jeu pousse juste parfois son interlocuteur à parler plus longuement des historiens de l’art qu’il a connus. Autrement dit tout ce qui a compté dans la seconde moitié du XXe siècle. Michel Laclotte peut ainsi raconter aussi bien Roberto Longhi que Federico Zeri. Bernard Berenson, déjà très âgé, que Charles Sterling, au sommet de sa gloire vers 1950. Il y a là au final comme un portrait de groupe. Celui d’une discipline régénérée après six années de guerre.
«Les conditions d’accueil du public au Louvre étaient effrayantes. Tout restait condensé dans la Salle du Manège: vestiaires, toilettes, librairie, points de vente et préparation des visites guidées…»
Dès 1947 (il a alors dix-huit ans), Michel Laclotte travaille sur (mais pas encore dans) les musées de province. C’est un précoce. En 1952, le débutant parvient à se faire engager, «à titre bénévole, bien entendu.» Ses intérêts se cristallisent assez vite sur les primitifs italiens. La chose lui servira plus tard lorsqu’il s’agira de reconstituer la Collection Campana (acquise en 1863 par Napoléon III puis dispersée) et de la déposer au Petit Palais d’Avignon. Une passion n’offrant cependant rien d’exclusif. La peinture contemporaine semblait également très attirante à ce «boulimique» assumé vers 1950. C’était alors une explosion en France, allant de Dubuffet à Fautrier. Tout semblait d’ailleurs devoir bouger en ce temps-là. Y compris les musées de province, dont certains avaient subi de gros dégâts pendant le conflit. «Mais il n’était pas question de créer un modèle standard, chaque responsable ayant pour mission d’en souligner la spécificité.»

Epais, imprimé tout petit avec un interligne minuscule, le livre ne saute aucune étape de la carrière de Michel Laclotte. Le scientifique va se retrouver à l’inspection de musées de province, très riches en France, puis au Département des Peintures du Louvre. Il finira par le diriger en 1966. Un jeunet de 37 ans! Le grand musée n’abrite pas encore à l’époque de véritables expositions. Il manque de place. Les collections semblent lacunaires, mais l’argent fait lui aussi défaut. Le long règne de l’historien va ainsi voir des projets d’agrandissements. Ils mèneront plus tard à l’agrandissement et à la Pyramide dans une atmosphère devenue délétère. Cette adjonction engendrera d’interminables querelles, dont le public ne comprendrait plus le sens aujourd’hui. Mais elle se fera! Il faudra ensuite revoir l’accrochage entier et imaginer des manifestations temporaires. Le musée n’aura pas fait ainsi que doubler de surface. Il aura aussi changé d’époque. De style. «Les conditions d’accueil du public étaient effrayantes. Tout restait condensé dans la Salle du Manège: vestiaires, toilettes, librairie, points de vente et préparation des visites guidées…» J’ai longtemps connu cette situation, qui semblerait aujourd’hui préhistorique.
Quel XIXe siècle?
Auparavant, il y aura donc eu la création d’un nouveau lieu en Avignon. Le Petit Palais, aujourd’hui menacé par la poussière et l’oubli alors qu’il s’agit d’un véritable temple français de l’art italien des XIVe et XVe siècles. Puis viendra Orsay. Une longue histoire, qui remplit ici bien des pages. Il aura fallu du temps, et surtout beaucoup de palabres, avant de faire entrer dans une gare sauvée in extremis des bulldozers la peinture du XIXe siècle. Mais quel XIXe, au fait? Alors président de la république, Valéry Giscard d’Estaing voulait une traversée complète commençant en 1800. Les conservateurs penchaient eux pour un parcours commençant en 1848. L’année de toutes les révolutions. On sait qu’ils finiront par triompher avec les socialistes au pouvoir. Il y avait ensuite la douloureuse question des collections à aborder. Celles dont disposait Paris demeuraient franco-françaises, de Delacroix à Bonnard. «Il fallait combler les manques les plus criants. Munch et Klimt nous faisaient entièrement défaut et Hodler demeurait insuffisamment représenté.» Tout comme les arts décoratifs du reste, qui allaient finir par occuper une place importante…

Orsay ouvrira finalement en 1986, neuf ans après Beaubourg. Le Grand Louvre n’en finira pas par la suite de se transformer, même si, en 2003, les hordes de touristes restaient à venir. Il n’en s’agissait pas moins, dans les années 1990, de multiplier dans le palais les événements culturels, en commençant par la musique et le cinéma. L’indépendance administrative restait à inventer avec la création d’un «établissement public», qui verra le jour (non sans mal) en 1992. L’aile Richelieu demeurait à réaménager, après le départ longtemps différé du Ministère des finances. Il va ainsi se créer des cours couvertes afin d’accueillir la sculpture. Une réussite, pour une fois incontestée. Bon organisateur, Michel Laclotte pourra partir la tête haute, après avoir organisé en 1994 une dernière exposition… au Grand Palais. Ce sera «Le siècle du Titien». Toujours la peinture italienne, mais plus tardive. Les primitifs peints sur bois ne voyageaient pas à l’époque. Le système de caisses hydrométriques et climatisées demeurait à inventer. Ce sera dès lors la retraite, mais pas totale. Dès 1995, Michel Laclotte va en effet s’occuper de la création «tant attendue» de l’Institut national d’histoire de l’art. Un institut concrétisé en 2001…

Voilà. Je vous ai parcouru à grandes enjambées un livre très dense, où l’intéressé se met toujours en retrait. Le lecteur n’apprendra rien de personnel sur Michel Laclotte. A croire qu’il n’a jamais eu de vie privée. Une attitude assez raide, surtout si l’on pense aux épanchements de Federico Zeri dans «J’avoue m’être trompé» (1), où l’Italien multiplie les ragots. Très drôles, du reste. Le conservateur se présente comme «un grand serviteur de l’Etat». Une attitude typiquement française depuis Louis XIV. L’État demeure pour lui un être suprême, même dans l’erreur. Une sorte de divinité exigeant de l’attention, et surtout du dévouement. Tout lui est dû. Le Louvre a du coup droit aux plus beaux tableaux du monde. Chaque œuvre importante sortant de France, surtout pour finir dans un musée étranger, est un lambeau de chair qu’on lui arrache. Les propriétaires privés dotés d’un sens civique devraient lui donner le meilleur de ce qu’ils possèdent. Une idée qu’on ne retrouverait guère en Suisse, où les chefs-d’œuvre entrent et sortent librement. Autre pays, autre conception. Pour tout dire je préfère la nôtre, moins léonine.
(1) La traduction française de «J’avoue m’être trompé» a paru chez Le Promeneur en 1995, puis chez Folio Gallimard en 2002. Le déballage sans pudeur de Federico Zeri semble mettre Michel Laclotte, qui en parle, assez mal à l’aise.
Pratique
«Histoire de musées» de Michel Laclotte, réédition aux Editions Scala, 328 pages très serrées. Aucune illustration.
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Réédition – Scala reprend les souvenirs de Michel Laclotte
L’homme à l’origine du Petit Palais d’Avignon, d’Orsay et du Grand Louvre est mort en août 2021. Il était temps de ressortir «Histoires de musées».