
C’était un nom en architecture, même s’il a simplement cosigné nombre de bâtiments importants. Richard Rogers vient de mourir «paisiblement». Son équipe, puis son fils ont ainsi annoncé son décès. Il avait 88 ans. Début 2021, l’homme annonçait avoir donné «sa dernière contribution architecturale» au très snob Château La Coste, un parc viticole près d’Aix-en-Provence. Il s’agissait d’une passerelle aérienne semblant faite d’éléments de mécano, dont quelques poutrelles peintes en rouge. Un codicille sans surprise pour celui qui s’était fait depuis la fin des années 1960 le représentant No1 du «high tech» en matière de construction.
Débuts dans l’armée
Rogers était né à Florence en 1933. Médecin, son père faisait partie de ces Anglo-saxons installés en Italie comme on en voit dans les romans de Henry James. Sa mère, artiste, avait été l’élève de James Joyce. Tout aurait bien marché pour eux s’ils n’avaient pas redécouvert leur judaïcité lors de la promulgation des «lois raciales» par Benito Mussolini en 1938. Le couple a alors dû se replier sur l’Angleterre. Assez misérablement semble-t-il. Leur fils Richard accomplira ainsi une scolarité chaotique, avant de s’enrôler dans l’armée. Une période «bad boy» que l’homme devait assumer plus tard avec une certaine fierté. Des débuts anarchiques font toujours bien dans le tableau quand on a brillamment réussi par la suite.

Le militaire a su se raccrocher au bon moment à une profession plus calme, même si l’architecture ne reste pas éternellement de tout repos. Il a eu la chance de faire l’Architectural Association School de Londres. Etudes cette fois brillantes, terminées aux Etats-Unis, à Yale. C’est alors qu’il a rencontré Norman Foster. Son premier «partner» dans un métier qui n’était pas encore surencombré de monde. Foster évoluera par la suite dans un style bien plus classique, mais l’impulsion était donnée. Le bureau Team 4 va beaucoup faire parler de lui dans une Grande-Bretagne prête à toutes les extravagances architecturales. On ne peut pas dire que le visage de Londres y ait alors forcément gagné. Bien au contraire.
Le chantier du scandale
C’est avec un nouvel associé, rencontré en 1968, que Foster va obtenir la commande qui les lancera tous les deux sur le plan mondial. Il s’agit de Beaubourg à Paris, signé en tandem avec l’Italien Renzo Piano. La construction a failli s’interrompre sous la présidence de Giscard, qui trouvait le projet abominablement laid. L’ouverture de «Notre-Dame de la tuyauterie» s’est du reste faite en 1977 sous les lazzi. Des riverains ont alors découvert que les tubulaires n’étaient pas des échafaudages, comme ils le croyaient, mais la façade définitive. Le résultat passe certes aujourd’hui pour un monument classique en péril, mais il aura fallu du temps pour cela. Et encore l’unanimité n’est-elle pas faite! Il faut dire qu’outre l’esthétique des lieux, le Centre Pompidou pose un grave problème technique. Il faut tout le temps le restaurer à très gros frais. Alors qu’un immense chantier est prévu pour les années 2020, il faut hélas rappeler (ce que la France n’aime pas faire) que le Centre a déjà fermé ses portes pour travaux en 1998-1999…

Dès lors, Rogers était lancé, Piano continuant en solo de manière souvent assez sage. On doit à ses énormes bureaux quelque 400 projets dans le monde entier. Des tours à New York. L’énorme siège de la Lloyds à Londres. Le Terminal 4 de l’aéroport madrilène de Barajas. Les Palais de justice de Bordeaux, de Strasbourg ou d’Anvers… Rien que des commandes prestigieuses. Notre homme a su se maintenir comme «archistar» alors que des figures plus jeunes émergeaient, comme David Chipperfield. La chose se devait d’être reconnue par un prix comme le Pritzker. L’Anglo-italien l’a obtenu en 2007. Les jurés ont alors parlé de son «humanisme», ce qui peut étonner pour un créateur dont les inventions m’ont toujours semblé inhumaines. L’anoblissement avait précédé dès les années 1990. Foster était devenu par la grâce d’Elizabeth II, baron Rogers of Riverside. Un titre qui lui a permis de siéger parmi les Lords. Dans le clan des travaillistes, bien sûr!
Fait pour rester neuf
L’architecte fait selon moi partie des gens dont les créations devraient toujours demeurer rutilantes et neuves. Un peu comme une batterie de cuisine. Ou alors une carrosserie de voiture. C’est là le défaut de bien des constructeurs vedettes actuels. Aucun vieillissement de leurs bâtiments n’est supportable. Le «high tech» fait vite vieux machin. Il semble donc à craindre que Rogers ait donné matière aux restaurateurs successifs. Mais c’est après tout aussi le cas de Jean Nouvel ou de Frank Gehry, les autres mégalos du mécano. Autrement, en cas de rouille, il vaudra voir un bâtiment aussi démesuré que le siège de la Lloyds de loin. Il produit du reste bien davantage d’effet aperçu du pont de Waterloo. Mais tout de même moins que le concombre (ou le «plug» anal) vitré, dessiné tout près par Sir Norman Foster pour la Swiss Re. Cela dit, des goûts et des couleurs…
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Architecture contemporaine – Richard Rogers est mort. C’était le roi du «high tech»
Né en Italie, l’homme avait fait d’abord sa carrière en Angleterre. Associé à Norman Foster, puis Renzo Piano, il laisse derrière lui 400 projets.