
Jamais deux sans trois. L’Ariana respecte l’adage. Je vous ai déjà parlé de l’exposition d’Alexandre Joly au sous-sol comme de celle d’Hubert Crevoisier dans les deux salles du premier étage vouées à la création contemporaine. Il y a cependant aussi, un peu caché, le renouvellement en cours de la partie réservée aux «collections d’études». Une manière agréable d’en montrer davantage, sans confier pour autant au public la clef des réserves. Le visiteur découvrait jusqu’ici dans de vieilles vitrines beaucoup de céramiques présentées comme dans un magasin de vaisselle. Il y voit désormais des sortes de boîtes, posées l’une sur l’autre comme des cartons à chaussures avant réintégration des rayons par la décoratrice Patricia Abel. Une présentation où la scénographe s’est fait plaisir au détriment de la visibilité. Il faut marcher à quatre pattes pour voir le contenu des caissons du bas. Et se hisser sur la pointe des pieds afin de deviner celui de ceux d’en haut.
Chiffres affichés
Sur un mur, le musée genevois pour le verre et la céramique a également inscrit un tableau. C’est celui des entrées dans ce fonds municipal. Le visiteur peut ainsi découvrir la manière dont l’institution s’enrichit. Et la vitesse avec laquelle le processus avance. Les chiffres peuvent en effet se voir changés au fur et à mesure des acquisitions: rares achats, dons, legs… L’occasion idéale pour parler avec la conservatrice Anne-Claire Schumacher, présente à l’Ariana depuis les années 1990 et titularisée en 2010. Un sacré bail, qui arrive un peu à sa fin. Plus que quelques années…
Peut-on parler Anne-Claire Schumacher ici de réserves visitables?
Pas vraiment. L’idée était, au moment de la réouverture de l’Ariana après de longues années de fermeture, puis d’autres de réfection, de proposer au public des «collections d’études». J’ai donc rempli en 1993 des vitrines. Elles permettaient aux personnes désireuses de prolonger leur visite d’en voir davantage que dans notre présentation de référence. Nous sommes bien sûr plus riches dans certains domaines que dans d’autres. Le choix reflétait ces inégalités. Nous ne possédons que peu de majoliques italiennes du XVIe siècle. Nous n’en avions du coup guère de supplémentaires à proposer sur les deux étages d’une grande salle pourvue d’une mezzanine. Cette présentation de longue durée s’adressait au public. Les spécialistes demandent toujours à consulter nos réserves. Sur rendez-vous, bien sûr…

Pourquoi ce changement actuel?
Les vitrines arrivaient en bout de course. Des mouches arrivaient à pénétrer dedans! Une présentation nouvelle permettait à la fois de changer les œuvres proposées et de mener une réflexion de fond. Qu’est-ce aujourd’hui qu’un musée? Pour nous, il s’agit d’un lieu racontant des histoires avec des objets. Mais ce n’est pas tout! Il y a la conservation. L’identification. La documentation. La restauration. Tout un côté caché que nous pouvons maintenant laisser entrevoir aux personnes désirant en savoir plus. L’accroissement du fonds appartient à ce travail de coulisses que nous avions envie de dévoiler. Il fait partie des efforts déployés en amont pour aboutir, un jour, peut-être, à des expositions.
Pourquoi ces caisses aujourd’hui empilées?
Nous avions envie de cinq modules, détachés des murs, reflétant chacun un aspect des collections. Ce ne sera pas toujours les mêmes. Une rotation assez lente devrait permettre de changer le contenu de ces boîtes. Pour la première série, nous avons choisi cinq thèmes. Il y a les objets d’usage insolite. La restauration, avec des pièces en mauvais état, anciennement recollées ou subsistant sous forme de fragments. Nous proposons aussi des œuvres faisant partie d’un ensemble, comme celui, exceptionnel, qui nous a été donné par les Beusekom-Hamburger. Un atelier genevois du XXe siècle se voit mis en évidence. C’est celui de Marcel Noverraz à Carouge. Nous nous penchons aussi sur les services de table, qui posent aujourd’hui des problèmes. Par manque de place, nous ne pouvons plus accueillir l’intégralité de nouveaux ensembles aussi volumineux dont nous présenterons au mieux deux ou trois éléments. D’où d’actuels refus de dons (1).

Comment caractériseriez nous aujourd’hui le fonds de l’Ariana?
Avec 28 000 pièces, il reste d’une dimension gérable. Nous sommes certes le musée du verre et de la céramique, mais cette dernière forme le 90 pourcent de nos collections. D’où un déséquilibre certain. Jusqu’aux années 1980, l’ensemble formé à la base par Gustave Revilliod au XIXe siècle restait très historique. Le musée avait raté le tournant de la création moderne. Des manques criants se sont aujourd’hui vus en partie réparés grâce à des dons comme ceux de Frank Nievergelt, et nous avons un pied dans le XXIe siècle en partie grâce à la présence dans nos locaux du siège de l’Académie internationale de céramique (AIC). D’une manière générale, nous pouvons dérouler l’histoire de la poterie depuis le IXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Nous le faisons cependant souvent avec des pièces moyennes. Un héritage du projet de Gustave Revilliod, qui entendait avant tout documenter l’histoire de l’art. La typologie est bien là. Il nous manque des pièces exceptionnelles. Osons le mot. Des chefs-d’œuvre.
De gros manques cependant?
Dans le verre avant tout! Nous n’avons par exemple rien de Tiffany. Mais sans mécènes, vu les prix actuels, il n’en arrivera pas chez nous. Chez les modernes, il serait bien sûr bon d’avoir une céramique de Lucio Fontana, mais là aussi il faudrait une largesse hors normes. D’une manière générale, les Américains et les Japonais contemporains se révèlent très au-dessus de nos moyens financiers. Il ne faut pas oublier que les musées genevois ne disposent plus de crédits d’acquisition depuis bien longtemps. Nous raclons des fonds de tiroir. Tout dépend en fait de nos mécènes et des donateurs. Il y a parfois heureusement eu des Charles et Isabelle Roth, un Frank Nievergelt ou pour la production suisse un Csaba Caspar.

Que refusez-vous au fait, à part des services de table?
Beaucoup de choses! De plus en plus, d’ailleurs… Il faut de nos jours réfléchir à ce qui a, ou n’a pas, sa place dans un musée. Ce dernier ne peut pas s’accroître démesurément et sans fin. Il faudra même peut-être un jour le «désherber», comme on le fait déjà dans les bibliothèques. Une chose extrêmement difficile. Il s’agit d’avoir des garde-fous.
Pourquoi «désherber»?
En tout cas pas pour faire de l’argent! Il s’agirait du reste souvent de pièces quasi sans valeur vénale. L’idée serait plutôt de gagner en cohérence, tout en retrouvant de la place. Mais tout cela reste de la lointaine musique d’avenir. Le sujet demeure sensible. Il s’agit là d’une question véritablement politique.
«Nous allons créer un parcours thématique au rez-de-chaussée et un autre, historique, au premier étage.»
Maintenant que les «collections d’études» ont été prises à bras-le-corps, que va-t-il se passer dans les salles permanentes, qui ont peu bougé depuis la réouverture de l’Ariana en 1993?
Nous avançons à petits pas. Le salon Revilliod s’est vu refait. Nous avons inauguré une salle réservée aux «bleu et blanc» de toutes origines. Nous allons bien sûr continuer avec un parcours thématique au rez-de-chaussée et un autre, chronologique, au premier étage. Il y aura parfois moins d’objets présentés que jusqu’à présent. Ce renouvellement suffira pour m’occuper jusqu’à mon départ à la retraite courant 2024.
(1) Le mur du fond accueille par ailleurs les dernières entrées significatives en date.
Pratique
Ariana, 10, avenue de la Paix, Genève. Tél. 022 418 54 50, site www.musee-ariana.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Politique muséale – Qu’est-ce qui manque encore à l’Ariana genevois?
L’institution offre une nouvelle présentation des «collections d’étude». L’occasion de demander à la conservatrice Anne-Claire Schumacher où subsistent les lacunes.