
Les expositions de la Cité de l’architecture aiment brasser large. Il faut dire qu’il y a beaucoup de place dans les entrailles du Palais de Chaillot transformées en gigantesques espaces temporaires. Trop, sans doute. D’où la tentation de remplir, pour ne pas dire de bourrer. Maquettes, sculptures, voire meubles, objets et vêtements semblent pouvoir entrer à l’infini dans l’immense salle courbe d’une des ailes créées entre 1934 et 1937, en réutilisant les murs du vieux Trocadéro de 1889. Ceux-ci se virent alors plaqués de pierre blanche afin de former un bâtiment correspondant au goût de l’Art déco tardif. Marquée par l’opposition entre le pavillon allemand nazi et celui de l’URSS stalinienne, l’Exposition internationale prévue en ces lieux devait permettre une dernière récréation populaire avant la guerre, qui allait à la fois tout brûler et tout geler.

C’est précisément à l’Art déco que s’intéresse l’actuelle manifestation, mise au point par Emmanuel Bréon, qui fut longtemps directeur d’un Musée des années 30 à Boulogne-Billancourt, aujourd’hui tombé en déshérence. Il ne s’agit pas de la première présentation Art déco à cet endroit. En 2013, la Cité en avait déjà proposé une énorme évocation. Elle entendait alors illustrer la quasi-universalité de ce style «moderne», lentement imaginé à la fin des années 10 et au début des années 20 pour remplacer un Art nouveau désormais jugé non seulement démodé, mais passéiste. Il devait s’agir dans l’esprit de ses promoteurs d’un style international, comme l’avaient été le baroque, et surtout un néoclassicisme sévère ayant essaimé jusqu’au Etats-Unis. L’exposition de 2013 faisait ainsi passer, non sans fatigue, le visiteur de la France à l’Egypte coloniale ou à Tel-Aviv.

Le sujet s’est vu cette fois resserré. Il ne vise plus qu’à montrer la compétition entre une France encore dotée d’un très grand prestige intellectuel et des Etats-Unis peinant à se libérer d’un complexe d’infériorité face à l’Europe. Il y a alors eu beaucoup d’allers et de retours, à commencer par ceux de l’architecte Jacques Carlu qui, admirable mise en abyme, est l’un des trois auteurs de l’actuel Palais de Chaillot. Voyages surtout effectués dans les années 20. La Crise de 1929, puis la Grande Dépression qui suivra vont en effet changer la donne. Il faudra désormais économiser, même si l’Empire State Building se verra construit par 3400 ouvriers entre 1930-1931, au pire moment. Les contrats du «plus haut gratte-ciel du monde» étaient déjà signés… Il n’en reste pas moins que l’Amérique se détache ensuite du «Vieux-Continent». L’exposition de Chicago en 1933 va constituer comme une coupure de cordon ombilical officielle. Sous l’influence de nombreux designer (dont Raymond Loewy, pourtant né à Paris), les USA vont peu à peu se mettre à un «streamline» tout en courbes. Un style qui pouvait aussi bien convenir à un bâtiment qu’à une voiture ou un «toaster». L’édifice prenait un air d’objet, alors que celui-ci adoptait une dimension architecturale.

C’est cette histoire, où les grands paquebots (l’«Ile-de-France» en 1927, le «Normandie» en 1935) assuraient la liaison entre les deux continents tout en promouvant «le goût parisien», qu’entend raconter Emmanuel Bréon. Le commissaire n’a pas lésiné sur le nombre d’emprunts, effectués majoritairement en France vu les actuels coûts de transport. Il y a là 350 numéros allant du plan architectural à la robe de soirée, en passant par les affiches, les meubles (Jacques-Emile Ruhlmann, bien sûr!) ou les sculptures (Alfred Janniot étant très présent à Paris comme à New York). Seul le cinéma reste en marge. Bizarre… Dans les années 1930, Hollywood a pourtant beaucoup fait pour lancer les intérieurs dépouillés tout blancs du «second Art déco». Il y a bien sûr, à la Cité, de vagues essais de reconstitutions de décors. Une rotonde abrite ainsi les quatre saisons monumentales en bronze de Pierre Fournier des Corats. Une découverte. Un environnement a été créé pour montrer la célèbre enfilade plaquée d’ivoire de Ruhlmann. Un classique.

L’ennui, c’est qu’il y a bien trop à regarder. La vision globale se brouille assez vite. Le propos aussi. La Cité abrite aujourd’hui de quoi former au moins trois ou quatre expositions différentes. Le «streamline» aurait pu en constituer une à lui tout seul, même s’il n’offre au départ rien de français. Les écoles créées à Meudon ou à Fontainebleau (où enseigna du reste Jacques Carlu) pour instruire de jeunes Américains aussi. Idem avec les paquebots, qui ont naguère fourni un excellent sujet au Victoria & Albert Museum de Londres. C’est d’ailleurs là le défaut récurrent de la Cité, qui utilise mieux l’espace disponible en montrant, avec de grosses structures reconstituées, l’œuvre d’un architecte comme le tonitruant Rudy Ricciotti. Il y avait déjà trop dans la présentation, par ailleurs remarquable, sur «L’hôtel particulier, une ambition parisienne» en 2010. Trop en 2016 avec l’excellent sujet d’urbanisme balnéaire que formait «Tous à la plage». Trop dans la précédente exposition (celle de 2013) sur l’Art déco.

Il semble un peu gênant de se dire qu’un lieu voué à l’architecture utilise aussi mal son espace. Les choses se passent il est vrai mieux dans l’immense halle du second sous-sol, hélas peu utilisée. J’ai pourtant là le souvenir d’un bon Alvar Aalto montant l’ensemble des créations du Finlandais comme celui d’une excellente présentation de dessins liés à des constructions (vraies ou chimériques) provenant de l’Albertina viennois. Là au moins, le public soufflait, au lieu de soupirer. «Less is more» disait Mies van der Rohe, qui avait parfois raison. Cela dit, mieux vaut tout de même éviter le grand vide (physique et intellectuel) de certains musées et galeries contemporains. «Less is more» doit tout de même laisser quelque chose…
Pratique
«Art déco: France/Amérique du Nord», Cité de l’architecture, 1, place du Trocadéro et du 11 novembre, Paris, jusqu’au 6 mars. Tél. 00331 58 51 56 00, site www.citedelarchitecture.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 11h à 19h. Jusqu’à 21 le jeudi.

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Exposition à Paris – Quand France et USA rivalisaient en Art déco
La Cité de l’architecture arbitre le combat, mené avant tout dans les années 1920. La Crise a changé la donne. Il y a là 350 œuvres. C’est trop.