
Ils se sont connus tout jeunes. Ferdinand Hodler avait 19 ou 20 ans lorsque Albert Trachsel a posé pour lui une première fois. Son futur collègue, qui restait alors un petit voisin genevois, avait dans les dix ans. Il a été peint en train d’attiser un feu. Le tableautin, soyons justes, n’offre rien d’inoubliable. Aujourd’hui conservé dans un musée schaffhousois, il fait partie de ce qu’on appellera charitablement «les œuvres de jeunesse». Trachsel, si c’est cette fois bien lui, a plus fière allure dans le «Dialogue intime» de 1884. L’adolescent se destinait alors à une carrière d’architecte, qui ne lui apportera guère le succès.
Un long compagnonnage
Les deux hommes se fréquenteront assidûment pas la suite. Le prouvent les «Souvenirs concernant Ferdinand Hodler», que publient aujourd’hui les éditions Notari comme premier volume de la collection «Hodler en poche». Une coproduction avec l’Institut Ferdinand Hodler, toujours aussi actif. Le texte restait en effet inédit, sauf pour quelques extraits parus en 1928. Jura Brüschweiler, à l’origine de la Fondation, avait tenu en 1986 le manuscrit original entre les mains. Il l’avait soigneusement dactylographié. Aucune occasion de le rendre public ne s’était présentée. D’où l’actuel rattrapage. La soixantaine de pages rédigées par Albert Trachsel se voit mise en contexte par Diana Blome. Un apport bienvenu, ne serait qu’à cause du manque de notoriété dont souffre depuis toujours leur auteur. Un homme mort en 1929 la veille du vernissage de l’exposition qui devait enfin le consacrer. Il y a comme cela des malchanceux.
«Sa loyauté est d’autant plus remarquable qu’il n’a jamais bénéficié de la réussite artistique à laquelle il aspirait.»
Trachsel décrit son aîné de dix ans comme un modèle à suivre. Grand travailleur. Jamais satisfait de lui-même. S’intéressant à tout et presque à chacun. Bon père avec son fils Hector. Et avec cela gai compagnon, toujours prêt à s’asseoir à une table de bistrot ou à entreprendre une balade en campagne. Venu sur le tard, le succès ne lui avait pas tourné la tête. Il l’avait bien mérité, selon son cadet admiratif. Une chose qui touche Diana Blome dans sa longue préface. «Sa loyauté est d’autant plus remarquable qu’il n’a jamais bénéficié de la réussite artistique à laquelle il aspirait.» A juste titre, selon moi. Je vous ai dit tout le bien que je pensais de l’œuvre lorsque la rétrospective à laquelle Trachsel a enfin eu droit au Kunstmuseum de Soleure en 2020. L’amitié avec Hodler semble avoir été sans nuage. Et pourtant Jura Brüschweiler avait découvert une petite brouille, vite colmatée, en 1912. Nul n’est parfait.

Signé par un témoin, le texte enrichit évidemment la connaissance que nous pouvons avoir de Ferdinand Hodler. Il ne faut cependant pas s’attendre à un apport essentiel. La Fondation creuse avec cet opuscule son sujet à fond, comme elle le fera dans quelques mois avec les «Ecrits sur Ferdinand Hodler» du collectionneur Willy Russ, l’héritier des chocolats Suchard de Neuchâtel. L’amateur à qui le Musée d’art et d’histoire genevois (MAH), jusque-là pauvre en la matière, a acheté ses Hodler de manière groupée en 1939. Une affaire à suivre…
Pratique
«Souvenirs concernant Ferdinand Hodler», d’Albert Trachsel, préface de Diana Blome, 96 pages.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Livre – Quand Albert Trachsel se souvenait de Hodler
Le texte de 1928 n’avait jamais paru que sous forme de fragments. Sa publication lance la collection «Hodler en poche» créée par la Fondation dédiée au peintre.