Au printemps de cette année, le Conseil fédéral a mené une consultation sur un projet d’introduction d’une taxe au tonnage dans le droit suisse. Il a ensuite indiqué qu’il prendrait acte des résultats de la consultation et déciderait de la suite des travaux en 2022. Ce manque d’empressement ne doit pourtant pas faire douter du bien-fondé d’une taxe au tonnage pour la Suisse.
Qu’est-ce qu’une taxe au tonnage? Elle porte en fait mal son nom, car ce n’est pas une taxe en tant que telle, mais un mode de détermination forfaitaire du bénéfice imposable résultant de l’exploitation d’un navire de mer. Tous les principaux concurrents de la Suisse ont introduit ce principe dans leur droit il y a de nombreuses années. Le Parlement fédéral a discuté du sujet lors du projet de RIE III, avant de l’en sortir pour simplifier ce dernier.
Navires de mer? Concurrents de la Suisse? Eh oui, car la Suisse dispose de la 4e flotte maritime d’Europe (après la Grèce, le Danemark et l’Allemagne) et de la 9e du monde. Le commerce maritime en Suisse, ce sont 55 sociétés qui exploitent au total plus de 900 navires, qui assurent 22% des transports de matières premières dans le monde. Ce sont aussi 2000 emplois, qui pourraient plus que doubler en cas d’adoption d’une taxe au tonnage, selon une étude de l’Institut CREA à Lausanne.
Certains doutes avaient été émis à propos de la constitutionnalité d’une taxe au tonnage, mais ceux-ci ont été écartés. Le droit fiscal suisse connaît déjà des exceptions au principe de la capacité économique. En outre, celui-ci vise à protéger des abus de la part des autorités, alors qu’ici il s’agirait d’un choix de chaque société, pour chaque navire. Un choix entre l’imposition ordinaire et la certitude de devoir payer des impôts selon le tonnage (la capacité) d’un navire et son nombre de jours d’exploitation, sans pouvoir déduire d’éventuelles pertes d’exploitation. Un mode d’imposition valable pour dix ans, ou si la société y renonce avant, elle ne pourra plus y revenir avant six ans.
Tant la Commission européenne que l’OCDE ont confirmé qu’il ne s’agit pas d’une pratique fiscale dommageable. L’OCDE a même déjà prévu une exclusion des revenus générés par les activités de transport maritime international dans ses projets de réforme fiscale. Pour lutter à armes égales dans ce secteur où règne une forte concurrence, la Suisse serait bien inspirée d’introduire une taxe au tonnage dans son droit.
Le projet du Conseil fédéral souffre cependant d’une tare rédhibitoire. Il exige en effet que 60% au moins de la flotte du contribuable batte pavillon suisse ou européen. Seules 4 sociétés sur 55 remplissent ce critère, sachant que seuls 3% des navires de la flotte suisse battent pavillon suisse. Ceux qui exploitent des navires de mer se préoccupent en premier lieu de leur disponibilité, de leur qualité et de leur adéquation au type de marchandises à transporter; leur pavillon est secondaire. D’ailleurs les pays membres de l’UE qui connaissent une taxe au tonnage (21 sur 27) n’exigent en moyenne que 10% à 15% de navires battant pavillon européen; la limite de 60% ne sert qu’à exonérer la société de l’obligation de ne pas réduire son taux de navires battant pavillon européen. Le droit suisse doit s’aligner sur cette pratique pour être compétitif.
Enfin, le projet du Conseil fédéral prévoit aussi une réduction d’au plus 20% du bénéfice forfaitaire imposable si le système de propulsion du navire répond à certaines exigences écologiques. Ce «bonus» écologique manque d’ambition et le secteur s’est en fait déjà engagé à réduire de 40% ses émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 2008. Les alinéas correspondants du projet de loi n’ont donc plus de raison d’être.
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Révision fiscale – Pourquoi une taxe au tonnage en Suisse?
Les sociétés de commerce maritime en Suisse n’ont pas le même traitement fiscal que leurs principaux concurrents. Introduire une taxe au tonnage similaire à celle des États de l’UE permettrait de créer plus de 2000 emplois.