
Cette semaine rencontre avec Patrizia Carlevaro, membre de plusieurs conseils d’administration de sociétés et fondations. Après un doctorat en chimie pharmaceutique, elle part d’abord en Afrique travailler dans une usine de médicaments, découvre brièvement la dermo-cosmétique en Italie avant d’atterrir à New York comme chef de l’unité des médicaments pour l’Unicef et finalement à Genève, d’abord chez Lilly pharma et après comme Managing Director d’un groupe pharmaceutique japonais. Elle a récemment aussi créé deux start-up: GenomSys and Myshoepassion.
Comment êtes-vous devenue administratrice?
Mon premier mandat fut à la Fondation «International Florence Nightingale», basée en Angleterre. Pendant mes années passées chez Eli Lilly, une multinationale américaine de l’industrie pharmaceutique, j’ai travaillé au Conseil International des Infirmières (ICN) et mis en place des projets de santé publique. Sur cette base ils m’ont demandé d’intégrer leur conseil d’administration. J’ai été interviewée par le président et plusieurs membres du conseil avant d’intégrer l’équipe.
Faire partie des comités d’associations professionnelles de votre secteur industriel, dans mon cas pharmaceutique, comme représentant de votre société, c’est très utile. Ça vous fait connaître, et ça vous aide à interagir avec d’autres cadres au dehors de votre entreprise, à être diplomate, mieux écouter, et à négocier.
Avoir travaillé pour une multinationale américaine, puis avoir géré pendant plusieurs années, en Suisse, une petite entreprise, filiale d’un grand groupe international japonais, c’était très important.
«Dans mon secteur d’activité, le chemin le plus facile pour trouver un conseil d’administration est de passer par les plateformes des start-up biotech.»
J’ai fait pas mal de formations spécialisées en Angleterre, Italie et Suisse pour être mieux préparée à devenir membre d’un conseil d’administration. Elles servent surtout à vous donner plus de confiance, mais les chasseurs de têtes ou les entreprises vous demandent rarement si vous avez suivi un training.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans cette fonction?
Participer dans un conseil d’administration, c’est un processus bidirectionnel. On apporte notre savoir-faire, des idées stratégiques, un esprit critique, mais on reçoit beaucoup aussi. On se tient au courant des évolutions scientifiques et on apprend des autres membres du conseil qui ont des champs d’expertises différents du vôtre.
Quelles sont les compétences clés et la valeur ajoutée que vous apportez au CA?
À part ma connaissance du secteur pharmaceutique et de la santé publique, la gestion d’une entreprise m’a donné une certaine capacité à évaluer le business, et les risques. J’ai acquis une expertise horizontale, que j’apporte au conseil d’administration: ressources humaines, conformité aux règles (compliance), juridique, contrats commerciaux et évidemment les réglementations et bonnes pratiques de gouvernance des sociétés en Suisse.
Quelles sont les difficultés de cette fonction, les défis que vous avez rencontrés?
Les défis sont multiples et varient selon le type de conseil d’administration:
être écouté. C’est difficile si les conseils d’administration sont trop larges. Et, dans ce cas, c’est compliqué d’être efficace dans les recommandations à donner
obtenir le support d’investisseurs qui ne sont pas toujours intéressés par une croissance organique de la société et au bien-être du team, mais visent à accélérer l’Exit
le choix des membres du conseil d’administration qui peut être fait pour des raisons politiques
les problèmes d’ego du Président du conseil d’administration qui laissent peu d’espace à ceux qui ont une vision différente de la sienne
Quelle est votre meilleure bonne pratique en termes d’obtention de mandat dans les CA?
Je crois que je ne suis pas un bon exemple de bonne pratique, car je ne fais pas beaucoup d’efforts, honnêtement. J’ai essayé avec les cabinets de recrutement, dans le passé, mais c’est un "inner" cercle. Dans mon secteur d’activité, le chemin le plus facile pour trouver un conseil d’administration est de passer par les plateformes des start-up biotech.
Quelles sont les grandes préoccupations actuelles des organes stratégiques des entreprises?
Les préoccupations des organes stratégiques sont nombreuses: lever des fonds pour les petites entreprises car les investisseurs ont moins d’argent et les stock markets souffrent beaucoup; mieux diversifier les sources d’approvisionnement et contenir les coûts de la logistique; les nouvelles règles européennes et suisses sur la Privacy (GDPR) ; garder les bonnes équipes motivées et en place le plus longtemps possible; le risque de hacking digital.
Que manque-t-il pour que les CA d’entreprises suisses comptent davantage de femmes?
Je ne suis peut-être pas «politically correct», mais il ne faut pas continuer à pousser pour les femmes.
Les réseaux de femmes, en partenariat avec des associations d’entreprises et des chasseurs de têtes spécialisés, devraient organiser plus des séances de réseautage avec des chefs d’entreprise et des présidents de conseils d’administration. C’est toujours mieux (et plus élégant) quand c’est quelqu’un d’autre qui vous présente.
Mais aussi les banques, en Suisse, qui investissent et sont soucieuses de la bonne gouvernance des sociétés de leurs clients, devraient faciliter ces rencontres. Au niveau cantonal, les départements de l’économie, qui sont très actifs à attirer des sociétés, surtout étrangères, sur leur territoire, devraient faire la même chose.
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Rencontre avec Patrizia Carlevaro – «Participer dans un conseil d’administration, c’est un processus bidirectionnel»
Parce que plus d’égalité hommes-femmes, c’est aussi plus de femmes dans les instances représentatives et dirigeantes, Femmes Leaders by Bilan vous propose chaque mois une rencontre avec une femme membre d’un conseil d’administration. De quoi inspirer de nouvelles candidatures? Un texte réalisé en partenariat avec le Cercle Suisse des Administratrices.