
En apparence, tout allait bien. Annulé en 2020, repoussé de deux mois en 2021 comme en 2022, le Salon du dessin reprenait à Paris ses dates de mars. Exactement comme la BRAFA de Bruxelles et la TEFAF de Maastricht, qui se sont respectivement déroulées cette année en janvier et en mars. C’était prévoir sans les psychodrames nationaux dont la France s’est fait une habitude. Grèves. Manifestations. Accumulations de poubelles sur les trottoirs, incendiées ou non (1). La Semaine du dessin, qui s’est peu à peu greffée au tour du Salon depuis sa création en 1991, doit zonzonner en ce moment entre des événements fâcheux. Ces derniers sont selon moi créés par la politique rigide d’une nation où le peuple ne vote en fait jamais (il se contente d’élire). La chose se révèle surtout néfaste pour les accrochages dédiés au contemporain. C’est ce jeudi noir 23 mars que s’ouvre la foire Drawing Now et demain vendredi 24 mars que commence sa concurrente plus pointue DDessinParis…
Entre le rite et la liturgie
La Semaine tient du rituel, pour ne pas dire de la liturgie. Chaque chose à sa place et en son temps. Et cela même si, cette année, j’ai noté un débordement du côté des ventes publiques tenant du vomissement incontrôlé. Fallait-il vraiment que l’honorable maison Ader organise quatre sessions d’enchères, dont plusieurs auraient pu se dérouler à n’importe quel autre moment de l’année? Il y a ainsi eu, en plus, la vente de la collection d’un «Monsieur B.» jouant les demi-anonymats en lever de rideau. Puis la dispersion en deux séances du fonds de la galerie Talabardon & Gautier, dont je vous ai déjà parlé. Les deux galeristes, des passionnés, restaient en délicatesse avec le fisc. Ils auraient négligé de payer durant quatre ans leurs impôts. Leur maison continue certes, mais elle a besoin de «cash». Pendant ce temps, Millon proposait une vente en ligne. Mirabaud (un parent éloigné de la banque genevoise) & Mercier une autre en salle, tout comme Artcurial ou Christie’s. L’amateur boulimique n’avait pas assez de mains pour faire signe d’acheter, à moins d’en posséder autant que certaines divinités hindoues. Ceci d’autant plus qu’il faut compter les galeries quai Voltaire ou dans le Quartier Drouot, qui font leurs affaires «at home». On compte à la louche qu’entre les marchands, les salons et les vacations, il y aurait plus de 5000 dessins à vendre en huit jours! Mais pas 5000 clients, hélas…

Tout commence officiellement le lundi soir, soit le 20 mars en 2023. C’est ce soir-là qu’avait lieu le pince-fesses du Louvre avec les invités triés sur le volet. On en est, ou on n’en est pas. J’en étais. Il y a toujours là une magnifique exposition de dessins ne durant que deux heures. Le public devrait pourtant pouvoir en bénéficier ensuite. Elle était néerlandaise cette année en hommage à Ger Luijten, le charismatique directeur de la Fondation Custodia, mort subitement il y a quelques mois. Je vous en avais parlé, encore sous le choc. Je me disais alors que le Seigneur aurait pu faire disparaître quelqu’un d’autre. J’avais même une liste de noms à Lui proposer. Directrice du Louvre, Laurence des Cars n’a pas honoré la soirée, alors que les mécènes et donateurs se pressaient au Pavillon de Flore. J’ai d’ailleurs appris par la bande que l’institution allait mettre la pédale douce sur les présentations graphiques. Celles-ci devraient plus ou moins se limiter, après le Claude Gillot (2) annoncé pour novembre, à de simples «participations» lors d’expositions dites «transversales». On connaît la chanson. Je pourrais donc vous la chanter, sans être enchanté pour autant…

Le mardi demeure traditionnellement voué le matin aux visites des expositions de dessins chez Custodia, à Orsay ou à l’ENSBA (ou Ecole nationale supérieure des beaux-arts). Ou alors aux présentations publiques avant ventes aux enchères. Christie’s proposait le lot vedette de 2023 avec un personnage masculin dessiné vers 1630 par un Pierre-Paul Rubens en petite forme. La feuille s’est quand même vendue 378 000 euros le 22 mars. Elle côtoyait une sélection de feuilles intéressantes, mais donnant dans les ordres mineurs. Des œuvres pour «vrais amateurs», comme on aurait dit jadis. Il n’y avait en revanche que quelques dizaines de dessins chez Artcurial, pris dans une vente de peinture ancienne qui s’est médiocrement déroulée depuis. Les œuvres de qualité moyenne à prix moyens restent souvent de nos jours sur le carreau. Ceci en dépit du dynamisme manifesté dans la maison du Rond-Point des Champs-Elysées par le frétillant Matthieu Fournier comme directeur de département ou en tant que commissaire-priseur. On n’a hélas pas un panier de fraises de Chardin à vendre tous les jours. Vingt-quatre millions en 2022!

Il fallait ensuite se rendre au Palais Brongniart dans l’ancienne Bourse transformée en lieu événementiel. Il abritait comme toujours 39 marchands internationaux, depuis que l’endroit se voit exploités au maximum en ne sacrifiant ni le minuscule café, ni les toilettes. Le Salon du Dessin est dirigé depuis plusieurs années par Louis de Bayser, qui apparaissait mardi dernier remis de son récent accident de bicyclette (je dis cela pour vous montrer qu’on ne donne pas ici dans le «flashy» de la grosse moto). Le Salon accueille cette année comme de coutume une institution publique. Il s’agit cette fois du Musée de l’Armée. On a connu plus bandant, en dépit d’un beau pastel de Liotard. Un petit hommage se voit également rendu à Ger Luitjen. Il y a l’élégant Prix Guerlain d’art contemporain. Autant dire que la place se voyait comptée pour les visiteurs le soir du vernissage. Il paraît que le nombre des invitations a été revu à la baisse. N’empêche qu’on s’y écrasait sur le coup de 19 heures, les entrées débutant à 15 heures. Normal! L’inauguration du Salon sert aussi pour les retrouvailles et les embrassades. Il faut se retrouver là, et certains Américains sont venus en dépit de quelques petites émeutes par-ci, par-là.

A quoi ressemble le Salon 2023? Excellente cuvée, comme on dit pour les grands crus. Niveau moyen élevé, mais peu de chefs-d’œuvre. Ceux-ci se font rares, surtout dans le domaine des arts anciens. Au fil de ses éditions, le Salon a pourtant su se diversifier. Des spécialistes du moderne, voire du contemporain y sont revenus en dépit de la naissance, puis de la politique marchande agressive de Drawing Now. Ils se sont taillés leur propre public. Il s’est opéré des ouvertures bienvenues sur l’Allemagne, puis l’Espagne et L’Italie. Elles ont permis de découvrir l’art ibérique comme le néoclassicisme transalpin. Cortona Fine Art de Milan révèle ainsi cette fois l’inconnu Michele Sangiorgi (1785-1822) avec de grandes compositions «puristes» à faire tomber les chaussettes. La plus belle a été achetée aussi sec pour 18 000 euros par un amateur éclairé. Le comité directeur est allé géographiquement plus loin en 2023 en invitant la galerie Kevorkian. Les ténors (ou plutôt les sopranos) de la faïence islamique. Kevorkian propose ainsi une remarquable sélection de miniatures indiennes. Elles suscitent pour l’instant la curiosité. Il faut généralement faire plusieurs Salons avant de s’imposer.

A ce propos, la constellation des galeristes change chaque année. A part les maisons Prouté, Aaron et de Bayser, reprises par les enfants, il ne subsiste plus grand monde de 1991 (3). Certains ont arrêté. Beaucoup sont morts. Plusieurs se sont éclipsés cette année, où je n’ai revu ni Arnoldi-Livie de Munich, ni Thomas Le Claire de Hambourg, ni Ditesheim & Maffei de Neuchâtel. J’ai retrouvé Arturo Cuellar-Nathan parmi les simples visiteurs, «heureux de l’être». Le Zurichois s’adonne désormais complètement à la composition de musique symphonique. Notez que dans un autre genre, Henri Loyrette m’a confié se sentir ravi de ne plus diriger le Louvre. Pour le grand homme (plus de deux mètres), c’est le retour à l’histoire de l’art. La roue tourne. Benjamin Peronnet, que j’ai connu au Louvre puis chez Christie’s, a ouvert boutique. Il propose en ce moment au Salon des dessins à six chiffres, dont un «Bœuf» de Fragonard. Ce dernier a vite trouvé un preneur mugissant d’enthousiasme. La galerie Dina Vierny opère en 2023 son entrée dans le moderne, tout comme dans l’ancien le jeune Ambroise Duchemin, à qui son père Hubert a délégué les rênes de la rue de Louvois.

Moralité, il y a énormément à voir. Le soir décisif du vernissage, les choses avaient l’air de bien se passer, certains ayant eu le courage d’afficher leurs prix ce qui se fait peu au pays du bas de laine et du pognon dans la lessiveuse. J’ai vu aux points rouges qu’Antoine Tarantino en arrivait à sa septième vente dans le domaine difficile du dessin italien de la Renaissance et du baroque. Les de Bayser se déclaraient ravis. Tout allait bien chez les Prouté qui se remettent de la mort d’Hubert récemment disparu, actif, à 99 ans. Les participants genevois arboraient le sourire. Notez que Charly Bailly, présent avec des modernes trop richement encadrés, l’a toujours. Difficile de rencontrer quelqu’un de plus jovial et chaleureux. Marie-Laure Rondeau de la Galerie Grand-Rue demeure plus réservée, mais avec toujours une pointe d’humour. Le monde de l’art ancien n’a pas le côté coincé, voire constipé, qu’on lui prête. Il demeure plus fréquent dans l’art contemporain, aux tendances anorexiques sur la forme et spéculatives sur le fond.

Voilà. Je vous ai tout dit, et pourtant rien quand on pense à tout ce que j’ai découvert. Vous n’aurez pas droit cette année à la partie contemporaine, vu que j’ai pris le dernier train partant mercredi à midi de la Gare de Lyon pour Genève. La suite risque de se passer un peu dans la confusion. Mais je vous rassure tout de suite. Pour les acheteurs venus de New York ou de Los Angeles, un peu de boxon c’est vraiment la France. Tout comme les bons vins, la mode qui se démode ou les tuyauteries d’hôtel récalcitrantes!
(1) Cela allait mieux mardi. Des éboueurs réquisitionnés ont passé. Vu la folie virtuelle que connaît la France, qui se prend pour une nation d’avant-garde sous le règne du technocrate Emmanuel Macron, j’avais craint au départ un recours à des e-boueurs…
(2) Claude Gillot a été au début du XVIIIe siècle le maître d’Antoine Watteau.
(3) Ah si! Il y a toujours Jean-Luc Baroni, aux airs de «condottiere». Il est désormais associé à son cadet Emmanuel Marty de Cambiaire.
Pratique
Salon du dessin, Palais Brongniart, place de la Bourse, Paris, jusqu’au lundi 27 mars inclus. Site www.salondudessin.com Ouvert de 12h à 20h, dès 11h le week-end, fermeture à 18h le 27 mars. Drawing Now dure jusqu’au dimanche 26 mars, tout comme DDessinParis, www.desdessinparis.fr Drawing Now n’accueille pas moins de 73 galeries contemporaines sur deux étages au Carreau du Temple, site www.drawingnowartfair.com DDessinParis a déménagé. La foire ne se déroule plus rue de Richelieu, mais au 29, rue de la Tour-Maubourg.
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Marché de l’art – Paris vit dans le désordre sa Semaine du dessin
Trois salons. Des marchands dans leur galerie. Des ventes aux enchères à n’en plus finir. Il y a environ 5000 feuilles à vendre. Mais au fait à qui?