
Paris Fine Arts et La Biennale des Antiquaires (qui était donc devenu annuelle…) se sont mariés, comme je vous l’ai dit. Je ne suis pas sûr que les visiteurs soient forcément à la noce. Mieux eut à mon avis valu que les jeunes coursiers de la première des deux foires ne s’encombrent pas des vieux canassons de la seconde. C’est du moins l’impression que m’a donnée le salon assez court se déroulant en ce moment au Carrousel du Louvre. Un endroit apparemment pas assez chic pour les organisateurs. L’an prochain, les festivités se dérouleront donc, avec une vingtaine de participants supplémentaires, au Grand Palais éphémère. La mouture 2024 sans doute aussi. Je ne pense pas que le Grand Palais soit prêt à accueillir des expositions dans cette année olympique. Mais il me semble clair que le vénérable bâtiment des Champs-Elysées, lifté comme une star en perdition, forme le but ultime de Paris Fine Arts-La Biennale. En France, tout tient toujours de cette course au sac que constitue le «cursus honorum».
Un lieu approprié
Facile d’accès, sans hauteur sous plafond inconsidérée, intime quoique vaste, le Carrousel du Louvre reste un lieu mal aimé. Il se prête pourtant bien en ce moment à la réunion de quelque quatre-vingts marchands représentant (à peu près) toutes les spécialités. La foire peut ainsi tenir du petit Maastricht, avec aussi bien des arts premiers (Flak, Anthony Meyer…) que de la peinture moderne (Applicat-Prazan, Rosenberg, Antoine Laurentin…). Elle laisse de la place à des libraires comme Camille Sourget ou Clavreuil/Daniel Crouch. Il y a du contemporain, mais sage, en compagnie des neuchâtelois Ditesheim & Maffei. L’essentiel reste cependant occupé pour le moment par les classiques, qui le deviennent si peu depuis quelques années. Les foires se ferment toujours davantage à l’art ancien. Elles cherchent à se rapprocher de la création contemporaine, un peu comme les musées tendent ne plus s’intéresser qu’aux «nouveaux publics». C’est notamment, à Bruxelles, le cas de la BRAFA (1). Les dernières ventes parisiennes aux enchères (Givenchy, Al-Thani…) ont pourtant prouvé à coups de millions qu’il subsistait une place pour le XVIIIe dans ce qu’il a de spectaculaire.

Mais revenons à la foire actuelle, occupant le plus clair des espaces du Carrousel. Le visiteur entre par une installation de Jacques Garcia, qui a fait mieux. Le plus tapageur des décorateurs français a dû se voir limité par le budget d’un salon ne durant après tout que cinq jours, plus un pour le vernissage. La suite du parcours reste au gré du public avec le danger, que j’ai une fois de plus pu vérifier, de manquer un ou deux stands. Arrive fatalement le moment, surtout après quelques bavardages avec des gens inopinément rencontrés, où l’amateur ne sait plus trop ce qu’il a vu et ce qui lui reste à voir. Il n’y a en effet pas ici, comme dans l’énorme TEFAF de Maastricht (près de 300 exposants comme à Art/Basel), de regroupement par genre. Les archéologues dans leur coin. Les «vingtièmistes» dans un autre. Les stands se révèlent par ailleurs de toutes les tailles. Pas d’uniformité à la manière du Salon du Dessin, avec lequel Paris Fine Arts était lié, ne serait-ce qu’en raison de la direction commune de Louis de Bayser.

Les découvertes s’effectuent donc au petit bonheur la chance. Il y en a heureusement beaucoup, les choix restant par essence personnels. Tout sépare en effet le stand de Steinitz, qui s’est vu primé par un jury, de celui de Florence de Voldère. Le premier demeure un maximaliste, avec boiseries, parquet à la Versailles, meubles dorés et objets montés, tandis que la seconde, qui propose pourtant de la peinture flamande du XVIIe, expose ses tableaux écrasés par une lumière blanche comme s’il s’agissait d’écran d’ordinateurs. Il paraît que c’est voulu pour plaire aux jeunes. J’avoue préférer la grande tradition, que reflète aussi Léage. Inutile de transformer les grand’mères en punkettes. Il semble par ailleurs possible de procéder à de légers rajeunissements. Le stand de Perrin, dont s’occupe un homme de moins de trente ans, en forme la preuve. Il est aussi loisible de montrer les objets pour eux-mêmes. Sans mise en scène. Pascal Izarn propose ainsi des porcelaines de Chine richement montées en bronze doré à Paris sous Louis XV. Et Kerkovian offre de l’archéologie (avec une superbe tête de femme romaine en marbre) dans une ambiance muséale. Ce sont les œuvres, après tout, qui doivent parler.

Que retenir au final de se salon à nette dominante française dans sa participation? Des œuvres et des ensembles. Antoine Tarantino marie pour le mieux sur fond rouge vases grecs (dont un imposant cratère ayant appartenu à Thomas Hope, puis plus récemment à cet Alexandre Iolas qui a eu une galerie à Genève), toiles baroques italiennes et majolique de la Renaissance. Michel Descours amène de la peinture du XIXe dominée par l’école lyonnaise. Giovanni Sarti aligne une belle série de primitifs italiens dominée par un rare panneau religieux des années 1310. Sisman réussit la rencontre de sculptures de diverses époques, avec en vedette une impressionnante série de statues médiévales. Les Flak ont amené une intelligente sélection de pièces reflétant les arts premiers du Sepik aux Eskimos. Unique des joailliers contemporains que la Biennale se targuait de faire revenir, Feng de Shanghai multiplie enfin des bijoux si spectaculaires qu’ils ont l’air faux. Seule compte ici l’imagination, ce qui nous vaut notamment un diadème «Jardin de l’impressionnisme»…

Tous les marchands présents ne se situent pas au même niveau qualitatif. J’ai néanmoins découvert qu’un spécialiste plutôt brillant du bijou «vintage» se cachait à Béziers. C’est l’un des rares provinciaux, l’attraction parisienne se faisant toujours plus forte. Même Michel Descours a quitté Lyon pour la capitale. Les prix ne sont du coup bien sûr pas les mêmes chez tout le monde, mais il y aura toujours les raisonnables et ceux qui profitent des clients déraisonnables. J’ai noté avec surprise que plusieurs exposants avaient soit affiché leurs prix, soit laissé traîner une liste. La chose donne une idée de transparence, mais les Français ont toujours entretenu des rapports conflictuels avec l’argent. Il n’y avait enfin pas beaucoup de monde quand je suis passé le mercredi 9 novembre. Mais il paraît que le vernissage était surpeuplé. Or c’est le moment où s’effectuent les ventes les plus importantes, même s’il se trouve toujours des gens pour «réfléchir». Ils ont jusqu’au 13 novembre pour se décider… ou aller voir plus tard les marchands. Comme je vous l’ai déjà dit, on reste ici très parisien. Pour l’international, il demeurera dur de régater avec Maastricht (2). Seuls les commerçants les plus fortunés sont équipés pour faire deux (ou trois) voyages à l’étranger, avec la somme de paperasseries que cela suppose. Sans parler des assurances et du transport…
(1) La prochaine BRAFA se déroulera à nouveau en janvier. Elle durera du 29 janvier au 5 février. Il s’agira là de la 68e édition.
(2) La prochaine TEFAF a annoncé ses dates le 10 novembre, comme la BRAFA. Elle aussi retrouve ses dates habituelles. La manifestation se déroulera du 11 au 19 mars prochains.
Pratique
«Fine Arts Paris-La Biennale», Carrousel du Louvre, rue de Rivoli, Paris, jusqu’au 13 novembre. Site www.fineartsparislabiennale.com Ouvert le jeudi 10 de 11h à 22h, le vendredi 11 et le samedi 12 de 11h à 20h, le dimanche 13 de 11h à 19h.

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Marché de l’art – «Paris Fine Arts-La Biennale», c’est parti!
Le Carrousel du Louvre accueille les jeunes mariés jusqu’au 13 novembre. Il y a là environ 80 marchands. Tous les genres sont représentés.