
A Paris, le Musée d’Orsay a beaucoup donné dans le «blockbuster» depuis son ouverture en 1986. Les impressionnistes restent encore aujourd’hui des vaches à lait dignes des produits Nestlé. Il suffit de voir l’actuel raffut créé autour de l’exposition «Manet-Degas», qui joue des effets multiplicateurs en proposant simultanément deux grands noms à l’affiche. L’institution offre cependant des accrochages plus calmes comme celui, magnifique, sur ses pastels du XIXe siècle dont je vous parlerai bientôt. Elle se paie même le luxe de quelques pas de côté. Autrement dit des manifestations dont les médias ne parleront jamais, et que le public remarque à peine. Ainsi en va-t-il aujourd’hui pour celle organisée autour de photos signées Victor Albert Prout.

Né en Grande-Bretagne courant 1835, élevé en Australie (qui demeurait encore plus au bout du monde qu’aujourd’hui), revenu dans la mère patrie pour sa carrière de photographe, rentré vivre au milieu des kangourous et finalement mort dans le Sussex en 1877, l’homme reste un quasi inconnu. Un «méconnu», préfère dire Thomas Galifot, qui a assuré le commissariat de la mini-exposition d’Orsay assisté d’Elodie Hudelle. On doit à Prout des portraits mondains. Assez beaux, du reste, je dois dire. L’artiste avait ses entrées dans la haute société victorienne. Il s’agit cependant avant tout d’un paysagiste. La présentation du rez-de-chaussée d’Orsay propose ainsi des extraits (pourquoi pas le total?) de son album de 1862 intitulé «The Thames from London in Forty Photographs». Un livre rare, acquis en 1983.

Comment la chose se présente-t-elle? Comme une suite d’images horizontales en super panoramique. Le Cinémascope aurait en effet l’air étriqué à côté. L’artiste et ses assistants y remontrent le fleuve. Ils vont doublement à contre-courant. De Londres à la mer, la Tamise a subi tous les assauts de l’industrialisation. C’est le moment où l’Angleterre devient le pays du fer et du charbon, avec toutes les catastrophes sociales qu’un tel changement peut engendrer. En amont de la capitale, rien n’a encore changé. Il n’y a pas de grandes routes, de berges aménagées et de constructions sauvages. Sur une seule photo se remarque un pont destiné au chemin de fer, qui existe apparemment toujours. Mais il reste une lointaine menace portée sur une campagne préservée. L’idylle n’est pas rompue. Une tare selon le musée qui aurait sans doute voulu des fumées en volutes, des usines et de gros bateaux. «Cette exploration de la relation changeante d’un fleuve à son environnement n’en constitue pas moins une des grandes réussites des débuts de la photographie sur papier dans le domaine du paysage photographique.» Vous aurez noté les mots «pas moins». De l’art de se tirer une balle dans le pied…

Derrière les vues apparemment simples de Victor Albert Prout, le spectateur devine tout un travail d’exploration préparatoire. Fils de peintre paysagiste, Prout a dû utiliser une chambre à objectif pivotant, confectionnée spécialement pour lui. Il lui a fallu remonter le courant sur un atelier barque anticipant l’embarcation où Claude Monet posera plus tard son chevalet. Avec ses aides, il restait alors à préparer sur le terrain (un terrain aquatique) des plaques au collodion. Puis à les développer. Le bateau comprenait donc une petite chambre noire. Il s’agissait enfin de mettre au point la composition, au milieu de laquelle ses assistants allaient se muer en figurants. La touche humaine! Revenant en boucle, ces messieurs assurent une continuité à la série, dont les cadrages et les points de vue se voulaient aussi variés que possible. C’est comme si le visiteur d’Orsay accomplissait le voyage en compagnie de la petite troupe. Un voyage qui se situe aujourd’hui avant tout dans le temps. Les lieux ont souvent bien changé, c’est-à-dire en mal… Et cela même si Oxford ou Windsor n’ont pas perdu leurs allures de carte postale.
Pratique
«Victor Albert Prout, photographes, Vues de la Tamise», Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, Paris, jusqu’au 27 août. Tél. 00331 40 49 48 14, site www.musee-orsay.fr Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h45. Réservation quasi indispensable vu la ruée sur le «Manet-Degas».
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Exposition à Paris – Orsay remonte la Tamise avec Victor Albert Prout
Le photographe britannique a parcouru le fleuve pour un album d’images panoramiques paru en 1862. Une véritable révélation.