La veille de mon premier jour d’école, mon père m’a donné un précieux conseil. “L’école, c’est simple” disait-il. “Tout ce que tu as à faire, c’est d’écouter attentivement tout ce que tes professeurs disent. Dès que tu ne comprends pas quelque chose, tu lèves la main, et tu poses ta question. Puis, tu recommences jusqu’à ce que tout soit parfaitement clair. Promets-toi de ne jamais rentrer à la maison avant d’avoir tout compris. Suis cette méthode et tu verras : tu auras à peine besoin de réviser”.
Cela ne fait aucun doute : mon père savait comment s’y prendre pour convaincre le petit paresseux qui m’habitait. “Attends, même pas besoin de réviser ?” me disais-je. “Je pourrai passer mon temps libre à jouer à GTA ?!”. C’est ainsi que j’ai suivi son conseil au pied de la lettre. Et ce, des années durant.
Mais plus je grandissais, et plus mon attitude semblait gêner mes camarades de classe, voire certains professeurs. Plus le temps passait, et plus la question brûlait en moi : si cette méthode était si bénéfique, pourquoi dérangeait-elle autant les autres ?
Le paradoxe de la compétence
Devenu étudiant à l’Université, c’est une conversation avec ma mère qui a fini par m’éclairer. Cette dernière a grandi au sein d’une famille relativement pauvre. Enfant, elle devait s’occuper de ses frères et sœurs, ce qui l’a forcée à quitter l’école très tôt. “Moi, je ne posais jamais de questions en classe” me racontait-elle. “En fait, j’ai l’impression que les autres comprennent tout, et je ne veux pas les déranger. Je ne veux pas qu’ils croient que je suis bête”.
Suite à cet échange, je me suis mis à remarquer certains comportements révélateurs. Curieusement, les collègues qui me taquinaient pour mes questions étaient précisément ceux qui me posaient les leurs avant l’examen. Lors d’un cours, il m’est même arrivé qu’un camarade me demande de poser une question à sa place. “Pourquoi ne le fais-tu pas toi-même ?”, lui ai-je demandé. “Allez, s’il-te-plaît, on a l’habitude avec toi” m’a-t-il répondu, arborant un sourire moqueur.
«Abandonnons notre honte de l’ignorance, et affirmons-le fièrement : nous sommes tous ignorants, et c’est très bien ainsi.»
Puis, la réponse m’est apparue comme une évidence : poser une question revient au mieux à admettre qu’on ne comprend pas, et au pire, à se retrouver face à sa propre ignorance. Si ce qui compte le plus, c’est de paraître compétent, et non pas d’être compétent, alors pourquoi prendre un tel risque ?
Précisément pour devenir compétent.
C’est ce que j’appelle le paradoxe de la compétence. Dans tous les domaines de notre vie, nous sommes confrontés au dilemme suivant :
Stagner en ayant l’air compétent
Progresser en ayant l’air ignorant
Quoi que nous fassions, nous ne pouvons pas échapper à ce dilemme, car seules les situations qui exposent notre ignorance nous donnent l’opportunité de nous en délivrer.
L’essence même d’une question consiste à articuler notre ignorance dans le but de nous en délivrer. La prochaine fois que tu devras motiver quelqu’un à en poser une, oublie donc la formule “il n’y a pas de question bête”. Au lieu de ça, je te propose plutôt: “il n’y a que des questions bêtes”. Abandonnons notre honte de l’ignorance, et affirmons-le fièrement : nous sommes tous ignorants, et c’est très bien ainsi.
Des bancs de l’école au monde professionnel
En passant des études au marché du travail, la peur de poser des questions se transforme naturellement en une difficulté à assumer de nouvelles responsabilités. Le syndrome de l’imposteur se traduit par une incapacité à reconnaître sa propre valeur, et une tendance à attribuer ses succès à la chance ou à des circonstances favorables.
Le supposé imposteur a le sentiment que tous les autres savent ce qu’ils font et méritent ce qui leur arrive, mais pas lui. Étrangement, ce phénomène concerne 70% de la population, et je suis tombé en plein dedans lorsque le magazine Bilan m’a fait son offre.
Mon premier réflexe a été de vouloir me débarrasser à tout prix de ce sentiment, en essayant de trouver les raisons qui font de moi un contributeur légitime pour Bilan.
«Il n’y a qu’en acceptant de passer par le stade d’imposteur que nous pouvons un jour le dépasser.»
Mais impossible : ma raison finissait toujours par l’emporter: “tu viens de finir tes études”, “tu n’as encore rien fait”, “ton opinion n’a aucune valeur”, “les autres contributeurs sont bien plus crédibles que toi”, etc. Finalement, j’ai décidé d’emprunter le chemin inverse : accepter mon manque d’expérience, et le faire quand même.
Chaque fois que nous accédons à un nouveau stade de notre développement, nous sommes par définition des débutants, et par conséquent, des imposteurs. De la même façon qu’on évite de poser une question par peur d’avoir l’air bête, on peut alors être tenté de refuser une opportunité par peur de se sentir incompétent. Mais l’illusion de compétence que l’on gagne à rester en terrain connu a un prix : la stagnation.
Le seul moyen de ne jamais se sentir incompétent est de ne jamais rien essayer de nouveau. Je te propose donc d’abandonner ta peur de l'incompétence, et d’affirmer fièrement : nous sommes tous des imposteurs, et c’est très bien ainsi. Il n’y a qu’en acceptant de passer par le stade d’imposteur que nous pouvons un jour le dépasser.
«Comment? Un grand homme? Je n’y vois jamais que le comédien de son idéal personnel.»
À travers ce blog, je souhaite explorer les questions d’un jeune adulte dans une société moderne. Je ne peux pas te promettre de réponses définitives, mais des pistes de réflexion originales. Si tu souhaites me rejoindre dans cette aventure, transmets-moi les questions que tu voudrais que je traite dans ce petit formulaire.
Merci et bonne lecture.

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Le paradoxe de la compétence – Nous sommes tous des imposteurs – et c’est tant mieux
Lorsqu’on m’a proposé de devenir contributeur pour Bilan, deux sentiments contradictoires m’ont envahi. D’une part, ma passion pour l’écriture m’a immédiatement poussé à accepter cette belle opportunité. D’autre part, ma raison, plus critique, me martelait sans cesse : “Mais quelle crédibilité as-tu donc pour étaler tes opinions dans un tel magazine ?”. Paradoxalement, c’est cette dernière qui a fini par me convaincre d’accepter. Voici pourquoi.