
C’est un conte de fées post-punk. Née en 1961 à Pasadena d’un père américain et d’une mère française qui préférera bientôt rentrer au pays natal, Nina Childress a galéré pendant trente ans sans que personne ne veuille ne serait-ce que regarder sa peinture. Comme elle l’a racontée à sa biographe Fabienne Radi, qui a publié sur elle un formidable double volume en 2021, elle a passé trois décennies d’installations précaires en ateliers de fortune. Il y a bien eu en 1984 l’aventure collective des Frères Ripoulin, mais le groupement s’est dissous dès 1988. Nina a alors dû refaire avec son cartable la tournée des galeristes, qui n’avaient jamais le temps…

Tout a changé avec une fée au masculin, puisqu’il s’agit de Christian Bernard. L’homme dirigeait à Genève le Mamco. Son musée d’art moderne, et surtout contemporain, se voulait différent. Il lui fallait donc d’autres artistes. Il est alors tombé sur Nina, qui créait une peinture figurative s’inspirant largement de la culture populaire. Bien qu’Américaine de passeport, elle avait créé son pop à la française. Pas de Marilyn, d’Elvis ou de Liz chez elle, comme pour l’Andy Warhol des années 1960. Revenant à son enfance ou à son adolescence, elle montrait Romy Schneider, Sylvie Vartan ou France Gall. Les fantômes d’un temps plus simple, fait sinon d’innocence du moins d’insouciance. Christian Bernard a embarqué le tout, qui s’est retrouvé dans l’institution de la rue des Vieux-Grenadiers à l’été 2009. Impératrice ou non, Sissi avait l’air doublement décalée avec ses couleurs rose bonbon dans un bâtiment industriel recyclé.

N’empêche que l’exposition a plu. Elle a fait d’innombrables petits. On n’en finit pas aujourd’hui de voir Nina Childress qui n’est plus la punkette de 1980, mais une dame désormais sexagénaire. La liste des endroits où elle se retrouve, seule ou en bonne compagnie, s’allonge de mois en mois. Il faut dire que la femme peint beaucoup, et vite. Quand Fabienne Radi a publié son catalogue raisonné, établi en collaboration avec l’intéressée, il comportait déjà 1081 toiles dont beaucoup d’exemples des débuts n’avaient pas survécu. Le nombre doit avoir considérablement augmenté en deux ans. Celles que propose David Lemaire (un ancien du Mamco) au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds datent en effet pour la plupart des années 2020 à 2022. Et il n’y a rien ici du «Tombeau de Simone de Beauvoir», que Nina a proposé l’an dernier au Musée des beaux-arts de Rouen. L’institution neuchâteloise montre plutôt, dans un autre registre intellectuel évidemment, ses effigies de Patrick Juvet. Vous me direz que nous sommes en Suisse, dont le chanteur (mort en 2021 à 70 ans) était originaire…

L’accrochage actuel remplit le rez-de-chaussée du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, qui comprend des salles de l’ancien bâtiment et d’autres d’une annexe plus moderne. Un thème la traverse. Nina aime bien raconter des histoires. Il n’est plus personnel ici comme avec Simone à Rouen ou Hedy Lamarr, «the strange woman», à Noisy-le-Sec. L’exposition se veut capillaire: «cils, poils, cheveux». Avec parfois de vrais poils, du reste, empruntés aux pinceaux de l’artiste ou à la toison de ses amis. Ils se retrouvent collés sur ce que j’appellerais, en référence à l’art américain des années 1980, sa «bad painting». Comme Picasso, mais sur un mode mineur, Nina peut de plus passer très rapidement de la figuration à l’abstraction et de la reproduction presque académique d’un corps («Les bottes rouges») à des synthétisations caricaturales rappelant Francis Picabia. Il s’agit d’une éclectique pour laquelle tout tient un peu du jeu.

Sur les murs se trouvent donc de grandes toiles allant du photographique au stylisé. Le visiteur peut y retrouver Sharon S(tone), Shelley Duvall (dernier film en 2002, qu’est-elle au fait devenue?), Sylvie Vartan ou bien sûr Patrick Juvet. Il y a aussi, à découvrir, avec de la «lumière noire», des discos anglaises ou allemandes des années 80. Mais ce n’est pas tout! L’environnement se voit ici assuré par des artistes que Nina considère comme de sa mouvance, ou plutôt de sa famille. Le public retrouvera aussi bien Dritschi, le chien vedette de Jean-Frédéric Schnyder, que têtes signées Stéphane Zaech (qui vient d’avoir sa rétrospective à La Chaux-de-Fonds), Caroline Tschumi, Jean-Luc Blanc ou Franz Gertsch (récemment disparu). C’est bien là un portrait de groupe avec dame(s). Il flotte malheureusement un peu dans l’espace. D’immenses salles sans rien au milieu, à La Chaux-de-Fonds, cela fait vite assez vide. Surtout pour un sujet comme celui-ci, qui appelait le trop-plein. L’excès. Pourquoi pas davantage?
Pratique
«Nina Childress, Cils, poils, cheveux», Musée des beaux-arts, 33, rue des Musées, La Chaux-de-Fonds, jusqu’au 23 avril. Tél. 032 967 60 77, site www.mbac.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h.
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Exposition à La Chaux-de-Fonds – Nina Childress revient avec des cils et des cheveux
L’artiste fait son miel avec les années pop à la française. Une plongée dans les années 1980. Patrick Juvet entre au Musée des beaux-arts.