
Aux abris! L’opération tient du tir groupé. Le «Studiolo» de l’Atelier contemporain, maison d’édition strasbourgeoise dirigée par François-Marie Deyrolle, sort simultanément trois livres écrits par Michel Thévoz. Ce trio porte comme il se doit sur la création artistique. Deux de ces ouvrages constituent cependant des rééditions. La maison française reprend aussi bien le «Louis Soutter» de 1970, déjà réimprimé une fois par L’Age d’Homme en 1989, que le canonique Dubuffet publié en 1984 par Skira. Il n’y a donc qu’un inédit. Il s’agit du «Hans Holbein» dont l’intitulé se voit suivi d’un long sous-titre. Mort en 1543 à 46 ou 47 ans, le Bâlois d’adoption se voit placé sous les signes de «Maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité, etc.» Là aussi, l’historien d’art vaudois frappe très fort. Le lecteur sent d’emblée qu’il va en prendre plein la gueule.
Un provocateur professionnel
Pourquoi Holbein? Quelle mouche a donc piqué Michel Thévoz, longtemps connu comme le premier directeur de la Collection de l’art brut à Lausanne? Il ne faut pas oublier que l’universitaire s’est toujours montré fasciné par la peinture savante. On se souvient de «L’Académisme et ses fantasmes» de 1980 comme de «Le théâtre du crime». Un texte qui décortiquait en 1989 la peinture néoclassique de Jacques-Louis David. D’autres créateurs tout ce qu’il y a de plus traditionnels se sont plus tard vus convoqués pour son essai «L’art suisse n’existe pas», sorti en 2018. Le lecteur sentait à chaque fois chez l’auteur un mélange d’attraction et de répulsion. Aimer l’académisme ne serait bien sûr pas convenable, mais le haïr apparaîtrait aujourd’hui trop banal. Or Thévoz joue à chaque fois la provocation. C’est son fonds de commerce. Reste que cette dernière a fini par s’émousser à force de devenir attendue. Il n’est pas facile de jouer les trublions en 2022!

L’actuel «Hans Holbein» ne s’en veut pas moins «provocateur» à en lire le quatrième de couverture. L’idée de l’auteur est de renverser la perspective historique commune. L’auteur du «Christ mort» de 1521 (gloire du Kunstmuseum de Bâle) aurait ainsi été influencé par Andy Warhol, et non le contraire. «Les effets produisent rétroactivement leurs causes.» Le peintre de la Renaissance a par conséquent «emprunté au futur». «Il aurait voulu être une machine, mais il ne disposait pas encore du polaroid de son mentor Andy Warhol.» L’homme n’avait que ses pinceaux pour sa «composition machinique encore virtuelle». «Les ambassadeurs», qui reste sa plus ample œuvre conservée (1), tient ainsi de l’instant figé, avec en prime la fameuse anamorphose du premier plan qui a tant titillé les exégètes. Une horloge cylindrique au milieu de l’œuvre donne l’heure et la minute de la rencontre ici figurée. Onze avril 1533 à 10 heures 30…

Divisé en chapitres aux titres plutôt trapus, le livre séduit par sa culture et son intelligence. A bientôt 86 ans, Michel Thévoz reste un esprit brillant. L’ennui, c’est qu’il le sait trop. Depuis plusieurs décennies, l’intellectuel en remet toujours davantage sur le verbiage, voulu comme il se doit signifiant. Il n’y a qu’à lire successivement les trois ouvrages sortis par L’Atelier contemporain. Le plus ancien, le Soutter, reste limpide. Le Dubuffet se fait un peu brumeux, à l’image de son modèle. Le Holbein se situe enfin dans une nuit quasi noire, tant il s’encombre de mots rares. Le lecteur se retrouve entre la diégèse et l’adiégèse, l’amphibologie et l’ontophotologie, la prosopopée et la déconstruction. «Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement», disait au XVIIe siècle Nicolas Boileau, et il avait bien raison. Michel Thévoz obscurcit son propos au lieu de l’éclaircir.

Il est permis de voir dans ce procédé, qui me choque lorsque le Vaudois parle des gens simples dénués de voix, un résidu universitaire. Ce fameux goût de l’entre-soi. En parcourant cet «Hans Holbein», j’ai éprouvé l’impression d’être revenu aux discours amphigouriques des années 1970. Le propos politique sous-tendu dans cet essai date selon moi de la même époque. C’est l’attaque antibourgeoise et anticapitaliste en règle d’alors, qui a souvent mal résisté aux vicissitudes des existences personnelles. Michel Thévoz n’est pas devenu un anarchiste, comme il le pensait, mais un notable. Un peu comme avant lui Freddy Buache à la Cinémathèque suisse. Ou Charles-Henri Favrod à l’Elysée. L’habit fait bel et bien le moine, mais chacun se croit fidèle aux atours (ou aux modes si vous préférez) de sa jeunesse. Illusion que cette permanence, comme est illusion le réalisme quasi photographique de Hans Holbein…
(1) Beaucoup d’œuvres monumentales de Holbein dont disparu dans les grands incendies de Londres en 1666 et 1698.
Pratique
«Hans Holbein, Maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité, etc.», de Michel Thévoz aux Editions L’atelier contemporain, 184 pages. «Louis Soutter», même éditeur même auteur, 414 pages, «Dubuffet», idem, 288 pages.
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Livres sur l’art – Michel Thévoz fait de Holbein le disciple de Warhol
L’universitaire vaudois propose le grand retournement dans son nouveau livre. Il y jargonne énormément. Deux autres de ses ouvrages sont réédités.