
Le livre est difficile à voir. Il se vend du coup pour le moment moins bien. Certaines librairies ont beau avoir composé une vitrine entière autour du nouvel ouvrage de Michel Pastoureau, historien populaire s’il en est. Mais comment voulez-vous que «Blanc» se remarque, alors que sa couverture se révèle comme les autres de la couleur annoncée? Les choses restaient plus faciles avec «Bleu», «Vert», «Noir» et surtout «Rouge», parus au fil des ans. L’éditeur fait cette fois chou blanc.
Un enseignement sans couleurs
Ce gros volume carré n’en clôt pas moins la série entreprise par Pastoureau sur les couleurs en 2000. Une suite d’ouvrages au succès public phénoménal, comme en témoignent les rééditions et les versions de poche sans illustrations. Et je ne vous parle pas des nombreuses traductions! Il faut dire qu’avant le médiéviste, personne n’avait autant parlé des couleurs même si celles-ci «sont la vie», comme le veut la sagesse populaire. Dans «Blanc» l’historien s’étonne même que ses collègues versés dans celle de l’art aient si longtemps pu enseigner avec des images en N&B. Pire encore! Certains ont écrit des monographies ou des traités entiers sans jamais évoquer les diverses tonalités des tableaux, souvent capitales. Pensez à tous les peintres que l’on qualifie aujourd’hui de «coloristes»! Rubens, Renoir, les Fauves…

Comme les tomes précédents, «Blanc» ne parle d’art qu’à l’occasion. Celui-ci se retrouve plutôt dans le choix des pièces illustratives. Elles mélangent toutes les techniques, voire le «high» et le «low». Il y a suivant les époques des vases grecs, des miniatures médiévales, des tableaux mais aussi des affiches ou des photos. L’essentiel demeure le blanc. Il traverse les millénaires depuis sa timide apparition sur les parois des cavernes, dominées par le brun, le noir et le rouge. Constitue-t-il au fait une couleur? Oui, mais on a douté à la fin du Moyen Age et jusque vers 1900, voire 1950. En l’opposant au noir et non plus au rouge, l’imprimerie protestante a nié les deux chromatismes. Isaac Newton est par ailleurs apparu. Lorsque l’Anglais découvrit le spectre en 1666, «il proposa un nouvel ordre au sein duquel il n’y avait plus de place pour le blanc, ni pour le noir.» D’où l’idée d’une non-couleur, de nos jours représentée pour Pastoureau par le gris. Une nuance aujourd’hui omniprésente. Il suffit d’observer les vêtements et les automobiles… L’auteur parle à son propos dans la conclusion de «degré zéro de la couleur». Pauvre gris, dont nous nous grisons!
«Lorsque Isaac Newton découvrit le spectre en 1666, il proposa un nouvel ordre au sein duquel il n’y avait plus de place pour le blanc, ni pour le noir.»
Dans ses ouvrages précédents, l’auteur avait souvent souligné «l’ambivalence» de certaines couleurs, dont le statut change suivant les siècles. Ainsi en allait-il du jaune et surtout du vert, teinte barbare pour laquelle les Latins ne connaissaient aucun mot. C’était pour eux une variété de bleu. Rien de tel avec le blanc. Il reste presque toujours positif, même si on parle de «blancs» qui sont en fait des trous de mémoire, de «mariage blanc» ou d’«opérations blanches» et donc sans bénéfices. Le blanc signifie ainsi le vide. Il reste du coup en lui «quelque chose de secret et d’inaccessible, à la fois attirant et angoissant, fascinant et paralysant, comme si cette couleur, contrairement aux autres, n’était pas encore dégagée de ses dimensions surnaturelles.» A l’instar d’un beau noir, un vrai blanc est d’ailleurs resté difficile à obtenir sur le textile jusqu’au XVIIIe siècle. Impossible jusque-là de concurrencer le lys royal, le lait ou la neige. On restait en général dans les écrus, autrement dit dans le grisâtre.

De tout cela rien ne subsiste aujourd’hui. Nous connaissons des productions immaculées, d’où un appauvrissement certain du vocabulaire. Par prudence, Michel Pastoureau se contente de l’Occident. Mais il me semble avoir lu que les Eskimos possédaient une vingtaine de mots pour qualifier le blanc les entourant. Chacun d’eux en désignait une valeur particulière. Pour les Romains aussi, les vocables restaient multiples. L’objet était «albus», «candidus», «niveus», «lacteus», «eburneus» ou «marmoreus». Blanc comme le marbre dans ce dernier cas… Une définition ne semblant plus de mise avec le design, qui a longtemps adoré un ton franc jaunissant hélas avec le temps. Quant à la literie, qui donnait naguère lieu à des «semaines du blanc» dans les magasins spécialisés, elle devient aujourd’hui en couleurs. Le sommeil restant psychologiquement associé à l’idée de blanc, l’historien se demande si ce changement n’expliquerait pas que notre époque dort si mal.
«Il reste dans le blanc quelque chose de secret et d’inaccessible, à la fois attirant et angoissant, fascinant et paralysant, comme si cette couleur, contrairement aux autres, n’était pas encore dégagée de ses dimensions surnaturelles.»
Mais il n’y a pas que le lit! Au fil du temps, le blanc s’est vu associé à la royauté, puis à la droite politique. Les Rouges et les Blancs. Il s’est mis à signifier l’hygiène et la santé, d’où son abondance dans les salles de bains ou les hôpitaux. Bien des professions l’ont du coup adopté, ce qui peut pourtant sembler aberrant quand il s’agit des bouchers ou des cuisiniers. Couleur de la pureté et de la chasteté, le blanc s’est vu associé au mariage depuis les années 1830. On imaginerait aujourd’hui mal une épousée en rouge ou en vert, comme cela restait le cas jusque-là. Les sportifs se sont longtemps vêtus de blanc, non par vertu affichée mais en raison des fréquentes lessives nécessaires. Fixer un rouge ou un bleu est longtemps demeuré difficile. Les appartements sont devenus blanc-de-blanc depuis les années 1920. Quant à l’art contemporain, dont Pastoureau ne parle pas, il s’associe à un «white cube» tranchant sur les «vert Empire» et «rouge pompéien» des musées du XIXe. Il semble permis de penser que le fameux «cube» forme une survivance de l’idée de «non-couleur».

Au fil des pages, Pastoureau fait preuve d’une science éblouissante. Mais il n’en abuse pas. Son texte demeure limpide. Le lecteur sent que l’homme a longtemps enseigné (il a aujourd’hui 75 ans). Le savant a toujours considéré ses cours, comme aujourd’hui les conférences pour lesquelles il se voit «booké» deux ans à l’avance, comme des «échanges fructueux». Il le dit dans ses remerciements en fin d’ouvrage. Le médiéviste a par ailleurs beaucoup travaillé sur l’héraldique, et par conséquent sur la symbolique des animaux, sortant ainsi d’autres livres à succès. Tout peut se mélanger dans «Blanc», qui n’abuse pourtant jamais de l’érudition. Il y a toujours une part sensible chez Pastoureau. Après tout, nous vivons en couleurs, avec ce que la chose suppose d’émotionnel.
Pratique
«Blanc» de Michel Pastoureau, Aux Editions Seuil, 240 pages.

Avec «Blanc», Michel Pastoureau termine une série de livres entreprise en 2000. Il n’y aura aucune autre couleur. Pas de violet. Pas de gris!
C’est fini! Après vingt-deux ans, Michel Pastoureau clôt avec «Blanc» sa série sur les couleurs entamée avec «Bleu» en 2000. Il y aura eu six livres, tous parus sous la même forme carrée au Seuil. «Noir» est venu en 2008. Puis, après une nouvelle pause, l’auteur a donné «Vert» en 2013. Le rythme s’est ensuite accéléré. «Rouge» date de 2016 et «Jaune» de 2019. Pastoureau a publié sur d’autres sujets historiques entre-temps, souvent animaliers. On se souvient ainsi parmi bien d’autres titres de «L’ours, histoire d’un roi déchu» (2007), «Le cochon, histoire d’un cousin mal-aimé» (2009) ou «Le corbeau, une histoire naturelle» (2021).
Rose Barbie
Il y a donc eu six couleurs. Et les autres? Deux d’entre elles se sont glissées dans des catalogues d’expositions devenus difficilement trouvables. Le «Rose», apparu en tant que tel au XVIIIe siècle et non plus comme variante du rouge, a fait l’objet d’un essai. Il s’est infiltré dans le livre d’accompagnement du «Barbie» au MAD parisien, ex-Musée des arts décoratifs, en 2016. L’autre sur l’orange a paru dans l’ouvrage complétant la présentation sur les roux et les rousses au Musée Henner en 2019. Un parcours qui allait d’Obélix le Gaulois à Sonia Rykiel. Je vous en avais parlé à l’époque. L’orange a pourtant connu une incroyable popularité dans les années 1920, puis 1970. Il y a donc eu deux décennies orangées.
Un violet trop court
Resteraient éventuellement le violet, le gris ou le brun. On a vu que le gris approchait pour l’écrivain de la «non-couleur». Le violet possède selon le scientifique «une histoire courte». Il ne parle guère du brun. Ces tonalités donneront donc au maximum lieu à des articles venant s’insérer dans des ouvrages collectifs à venir. Il faut par ailleurs dire que «Gris» ou «Brun» en guise de titres, ce n’est à mon avis pas très attirant!
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Livre – Michel Pastoureau raconte l’histoire du «Blanc»
Le plus populaire des universitaires détaille ses significations depuis l’Antiquité. Le blanc est positif. Il évoque la chasteté comme la santé.