
C’est un oiseau de malheur. Au propre. Ecoutons Michel Pastoureau, qui vient de sortir son livre sur «Le corbeau». «S’il se perche sur le toit d’une maison, quelqu’un de la famille va tomber malade. Si c’est déjà le cas, le malade mourra. S’il est déjà mort, il ira en enfer. Si l’oiseau tombe du toit dans la cheminée, la famille entière passera de vie à trépas. Et si l’animal croasse de façon continue quand sonne le glas, tout le village est condamné.» Ne vous étonnons donc pas si l’espèce a subi un véritable génocide depuis le Haut Moyen Âge. Le «grand corbeau», mesurant jusqu’à quatre-vingts centimètres, a ainsi pratiquement disparu.
Tout avait pourtant bien commencé. Chez les peuples anciens, en particulier au Nord de l’Europe (Michel Pastoureau, en bon historien, ne sort jamais du continent qui lui est propre), le corbeau tient ainsi du sacré. C’est le messager des dieux. Notez qu’il ne se montre pas toujours fidèle à ses missions. De nombreuses légendes veulent ainsi que, de blanc au départ, il soit devenu noir par punition divine. N’empêche que chez les belliqueux Celtes d’Irlande, c’est lui qui guide les âmes des défunts vers l’autre monde. S’il se pose sur l’épaule droite, le défunt ira au Paradis. Si c’est sur la gauche, ce sera l’enfer. Tout ce qui se situe à gauche est mauvais signe pour les Anciens. Du latin «sinister» est venu le mot sinistre.
Focus sur le Moyen Age
L’adulation dont l’oiseau fait l’objet chez les Celtes et les Germains va lui jouer des tours avec l’arrivée du christianisme. Le corbeau va se voir au propre diabolisé. Sa couleur l’associe de plein droit à Satan. Le noir comme le côté gauche ne pardonnent pas. D’où peut-être encore un fondement inconscient du racisme (mais là, c’est moi qui parle). Médiéviste patenté, Michel Pastoureau consacre le plus clair de son ouvrage au Moyen-Age. En particulier la période sombre allant du VIIIe au XIe siècle. Notez qu’il y a heureusement ici des notes dissidentes. Saint Meinrad (vers 797-861), dont vous savez tous comme moi qu’il est à l’origine du monastère d’Einsielden dans le canton de Schwytz, «avait ainsi pour compagnons deux corbeaux qui l’ont aidé à construire une petite chapelle dédiée à la Vierge.» Lorsque l’ermite fut assassiné, ce sont eux qui retrouveront les meurtriers et les feront arrêter.
«S’il se perche sur le toit d’une maison, quelqu’un de la famille va tomber malade. Si c’est déjà le cas, le malade mourra. S’il est déjà mort, il ira en enfer.»
Ceci relève de la légende dorée, bien sûr. Mais finalement pas tant que cela. Le corbeau est selon les scientifiques actuels le plus intelligent des animaux après les grands singes. Ses capacités cognitives se révèlent exceptionnelles. D’où bien sûr un autre de ses aspects sataniques. Les romantiques ont du coup apprécié ce mal-aimé. Ce réprouvé. Il a fasciné Edgar Poe, et du coup Baudelaire et Mallarmé. Aujourd’hui, on ne sait plus trop à quoi s’en tenir, mais le danger fantasmatique demeure. Les auteurs de lettres anonymes sont des corbeaux, et ce sont eux qui mettent pour des raisons obscures les humains en danger dans «Les oiseaux» d’Alfred Hitchcock…

Michel Pastoureau connaît son affaire. C’est le grand spécialiste de la symbolique des couleurs (nous attendons toujours le «Blanc») comme des animaux totémiques. «Le corbeau» vient ainsi s’insérer dans une série d’ouvrages monographiques après «Le loup» et «Le taureau» (dont je vous ai parlé). «Si le temps m’en est donné, il y aura aussi le renard, l’aigle, le cerf, l’âne et le coq.» Eux aussi «jouent un rôle de premier plan dans l’histoire culturelle européenne.» Du reste, l’aigle et le corbeau se confondent parfois dans l’iconographie païenne. Les fibules en forme d’aigle pourraient tout aussi bien représenter des corbeaux…
Pratique
«Le corbeau, Une histoire culturelle» de Michel Pastoureau, aux Editions du Seuil, 160 pages.
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Livre d’histoire – Michel Pastoureau nous raconte l’histoire noire des corbeaux
Adulé par les peuples celtiques et nordiques, l’oiseau est devenu pour les chrétiens le symbole même du Diable. Sa couleur et son intelligence font peur.