
C’était ce que l’on appelle «un sérieux». Max Bill (1908-1994) incarne encore pour beaucoup ce que fut «l’art concret» à Zurich. Un mot qui doit se voir explicité, tant il semble au départ incongru. Pour Bill, c’était la figuration qui restait en fait abstraite en peinture, vu ses représentations réduites à deux dimensions. Le non-figuratif existe paradoxalement dans sa matérialité. Il n’a aucune prétention à devenir autre chose qu’un assemblage de couleurs planes. Notez que Francis Bacon, resté fidèle à la transcription d’une réalité physique sur toile, qualifiait lui l’abstraction de «simple décoration». Dans la vie, tout se révèle après tout une question de points de vue!
Max Bill est de retour au Zentrum Paul Klee de Berne. Il y figure même dans sa totalité, puisque l’exposition montée par Fabienne Eggelhöfer (1) s’intitule «Max Bill global». Pour le Zurichois (l’homme était né à Winterthour), il s’agit d’un retour en faveur. Quasi officialisé dans les années 1970 et 1980, alors qu’il accomplissait parallèlement une carrière politique, l’homme est ensuite descendu au purgatoire, comme une grande partie de «l’art concret» du reste. Je me souviens ainsi d’une rétrospective à Milan dont j’étais, le jour de mon passage, le seul visiteur. Le Palazzo Reale a certes l’habitude des échecs cuisants, mais tout de même…
Un regain d’intérêt
Un nouveau regard, de type historique, se voit aujourd’hui porté sur les mouvements reflétant l’abstraction «dure». Celle qui se limite à des aplats de couleurs dans la lignée de Piet Mondrian ou de Georges Vantongerloo. Il y a en France un regain d’intérêt pour des gens comme Jean Gorin, César Domela (lui aussi originaire des Pays-Bas) ou le premier Jean Hélion. En Suisse, nous avons vu une belle exposition Camille Graeser à La Chaux-de-Fonds en 2020. Le Mamco annonce à Genève une rétrospective de Verena Loewensberg pour février 2022. Autant dire que ce frémissement, comme on dit en économie, ne pouvait que profiter à Max Bill. Une figure phare, ne serait-ce que par son autorité et son intransigeance. On ne rigolait pas avec l’Alémanique!

Avant de passer à l’exposition elle-même, un zeste de biographie s’impose. Bill a commencé par vouloir devenir orfèvre. Il est entré très jeune à la Kunstgewerbeschule de Zurich. Y ayant entendu parler du Bauhaus, qui se trouvait alors à Dessau, il y est entré pour quelques mois en 1928. Il a du coup croisé le Suisse Hans Erni, qui gravitait autour de cette école devenue célèbre dans le monde entier. Comme quoi les mêmes leçons ne donnent pas forcément les mêmes résultats… Bill y a surtout noué des contacts avec Paul Klee, Lázló Moholy-Nagy, Josef Albers, Oskar Schlemmer ou Wassily Kandinsky. Ces rapports se verront soigneusement entretenus au fil des ans, Bill voyageant par exemple avec Anni et Josef Albers au Mexique dans les années 1950 sur les traces des Précolombiens.
Un homme de réseau
Homme de réseau, Bill a appartenu à tous les groupements voulus. On le retrouve avant guerre dans Abstraction/Création, puis après 1945 au sein d’Allianz. Il se situe aussi quelque part dans l’«Expo 64» de Lausanne/Vidy. S’il a moins enseigné qu’un Hans Finsler, transfuge photographique du Bauhaus à la Gewerbeschule zurichoise, il l’a tardivement fait en Allemagne, alors que son art s’était définitivement figé. Rigidification presque cadavérique. Bill a surtout été derrière des expositions ayant marqué en Suisse, même si l’homme devait connaître un écho considérable en Amérique du Sud, notamment au Brésil. L’une d’elles, par son simple titre, illustre bien le caractère péremptoire du monsieur. C’est «Die gute Form», en 1948 à Bâle. Le simple énoncé laisse supposer que toute éventuelle divergence se révélerait forcément mauvaise…

L’exposition, maintenant. Pour le Zentrum Paul Klee, elle constitue une sorte de révolution. Le musée s’est enfin rendu compte que l’immense halle dessinée par Renzo Piano semblait davantage destinée à des matches de basket ou de hand-ball qu’à des présentations d’œuvres d’art. L’immense espace s’est donc vu cassé par de larges cimaises, peintes d’un noir profond. Un apport de couleur bienvenu, puisque le noir en constitue bien une. Relisez donc Michel Pastoureau! Disposées en épis, ces parois coupent les interminables perspectives. Les murs du pourtour se sont par ailleurs vus abandonnés. Ils supportaient normalement les textes de la biographie de Klee. Le lieu s’en retrouve certes rétréci. Mais il fonctionne ainsi admirablement, le fond final étant occupé par trois grandes toiles carrées de Max Bill, présentées sur leur pointe (une invention de Mondrian). Leurs tonalités fortes explosent sur un fond sombre.
La constellation des amis
La manifestation se voulant globale, il y a de tout. Bill a touché à l’architecture. Il a donné des sculptures, dont ses «Rubans sans fin», inspirés de Moebius à partir de 1935. Il a créé des meubles simples aux formes droites, alors que les années 1950 se voulaient tout en courbes. Ces pièces se voient présentées par grappes sur des socles. Il y a aussi et surtout des œuvres d’amis et de relations de Bill, illustrant ainsi sa toile d’araignée artistique. Sont accrochés aussi bien Lyonel Feininger que Paul Klee, Josef Albers, Wassily Kandinsky ou les Suisses Verena Loewensberg, Camille Graeser, Fritz Glarner ou Leo Leupi. Un homme dont le public connaît mieux les affiches destinées au Cirque Knie que les tableaux concrets. L’essentiel de ce fonds provient de la Fondation Max Bill-Georges Vantongerloo, abritée à Zumikon, dans le canton de Zurich. Une entité dûment remerciée par le musée. Sans elle, Max Bill n’eut pas été aussi «global».
Un film assez long complète enfin la plus grande réussite à mon avis du Zentrum Paul Klee depuis sa création. Il apporte beaucoup de témoignages, dont celui de la dernière compagne de l’artiste, qui aurait pu en être le père voire le grand-père. N’oubliez pas de le regarder! Vous y apprendrez beaucoup de choses.
(1) Mis pourquoi donc le Zentrum met-il aussi peu en avant ses commissaires? J’ai dû chercher le nom de Fabienne un bout de temps.
Pratique
«Max Bill global», Zentrum Paul Klee, 3, Monument im Fruchtland, Berne, jusqu’au 9 janvier 2022. Tél. 031 359 01 01, site www.zpk.org Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h.
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Peinture, sculpture et design – Max Bill revient en gloire au Zentrum Paul Klee de Berne
Le Zurichois a maintenu vivant le Bauhaus en Suisse, tout en influençant l’Allemagne et l’Amérique du Sud. Le musée le présente dans sa globalité.