
Il s’agit d’un haut lieu des lettres en Suisse romande. Il l’est tout d’abord car il se situe déjà sur les peintes jurassiennes. Ensuite parce que sa créatrice Vera Michalski a vu grand. Résidence d’écrivains. Bibliothèque polyglotte. Animation culturelle quasi permanente. Intégration du public à la création. Tout baigne. Il n’y a que l’architecture des lieux qui puisse un peu chiffonner. Le béton coulé par Vincent Mangeat n’a pas abouti à des réussites, en dépit d’interminables travaux. La résille voilant partiellement le ciel a déjà pris un coup de vieux. Et, si la galerie tout en verticalités de la halle aux livres séduit sans peine, le lieu d’exposition conçu sur le même schéma interpelle méchamment. Pourquoi autant de mètres sous plafond, alors que la Fondation Jan Michalski de Montricher présente en général de petits tableaux? Comme au Zentrum Paul Klee de Berne conçu par Renzo Piano, le public voit là des timbres-poste perdus dans une cathédrale…
Roud, Baselitz, Saura, Michaux…
Editrice, femme de lettres au sens le plus large du terme, Vera Michalski a voué les lieux à la littérature. Il convient par conséquent que les expositions temporaires ne s’écartent pas trop de ce propos initial. Le public a aussi bien vu ici Gustave Roud, qui fut aussi photographe, que Georg Baselitz avec son «Bestiaire d’images et de mots». Ou encore Antonio Saura. Et Henri Michaux. Bref, des gens qui interpellent. La maîtresse de maison (Vera Michalski donc) sait par ailleurs choisir ses commissaires. L’actuel maître d’œuvre est aujourd’hui à nouveau Rainer Michael Mason (RMM). Un homme longtemps connu au Musée d’art et d’histoire genevois comme tête pensante de ce qui formait alors encore le Cabinet des estampes. Ce dernier peut ainsi proposer un artiste avec lequel il avait établi un long compagnonnage. Je veux parler de Markus Raetz, disparu en avril 2020.

L’œuvre de Raetz, on le sait, apparaît colossale. En une soixantaine d’années, le Bernois a énormément produit. Gravures et dessins. Quelques sculptures aussi. Il fallait choisir dans cette masse ce qui convenait le mieux à Montricher. RMM a retenu sans surprise les pièces où prime le mot. Comme le dit le catalogue où le commissaire s’est effacé devant l’œuvre, se contenant de quelques pages en fin de volume, «Markus Raetz, c’est la singularité d’un créateur triphasé, n’a cessé tout au long de son existence de se pencher sur l’écriture, sur le verbe, sur les langages et de se laisser interpeller, mettre en mouvement par ceux-ci.» Comprenez par là qu’il a joué avec les caractères et les syllabes sans pour autant se laisser aller (comme Ben, par exemple) aux facilités du jeu de mots. Raetz agit en délicatesse. Le lecteur ou spectateur se voit ainsi appelé, dans les sculptures, à bouger un peu autour pour leur découvrir d’autres sens. «Hier» devient ainsi «dort» et, ce qui peut sembler plus radical, «non» se métamorphose en «oui»… Que ne peut-on pas faire avec un peu (et surtout beaucoup) de dextérité manuelle?

Dans la petite brochure d’accompagnement, RMM (Rainer Michael Mason, donc) explique bien la démarche de Raetz. «Elle montre ce qui se passe quand les mots deviennent formes et activent notre faculté de différenciation.» Le public se voit interpellé, puis amusé quand il est parvenu à comprendre où l’artiste a voulu le mener. Avec les œuvres tridimensionnelles, il lui suffit parfois, comme je l’ai dit, de changer d’angle de vue. Il est parfois nécessaire de regarder aussi un miroir. Ce dernier va aider, si j’ose dire, à réfléchir. Sur le papier, les choses deviennent plus complexes. Tout se retrouve mis à plat. Raetz offre alors en plusieurs langues (allemand, anglais, français) des itinéraires mentaux possibles. Une virtualité respectée par le commissaire. «L’exposition n’illustre pas une théorie: elle esquisse des pistes et suggère des associations.» Une chose n’en reste pas moins claire. «Il n’y a pas de sens sans interprétation. Si l’on n’interprète pas, il n’y a qu’une masse amorphe.» Cette vérité vaut du reste pour toute lecture, à commencer par celle d’un livre…

L’exposition se parcourt ainsi sourire aux lèvres. Avec Markus Raetz, le visiteur se sent intelligent. Il acquiert le sens du raccourci. Il développe aussi celui de l’humour. Le public ressent partout une grande légèreté. Une habileté de prestidigitateur. Les mots peuvent se retourner comme des gants. Le Bernois a brillamment réussi son retour à la Fondation Jan Michalski, avec qui il a eu il y a quelques années un projet inabouti. «Markus Raetz est venu une seule fois ici, pour le vernissage de l’exposition de «Henri Michaux/Figures.Ecritures» le 20 février 2015, soir de grande bise très froide.» Bon vent!
Pratique
«Markus Raetz, Le reflet des mots», Fondation Jan Michalski, 10, chemin du Bois-Désert, Montricher, prolongé jusqu’au 21 août (elle devait au départ s’interrompre le 10 juillet). Tél. 021 864 01 01, site www.fondation-janmichalski.com Ouvert du mardi au vendredi de 14h à 18h, les samedis et dimanches de 11h à 18h. Joli catalogue avec un gaufrage de Markus Raetz sur papier crème. Le «A» devient ici un «H»…
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Art contemporain – Markus Raetz fait ses lettres à Montricher
Le Bernois est présent à la Fondation Jan Michalski avec des œuvres où il retourne les mots comme des gants. Un bel exercice de lettrisme.