
L’Université de Padoue fête ses 800 ans. C’est bien. Peu d’académies peuvent prétendre faire mieux. Il y a juste Bologne, «la docte», qui coiffe non loin de là tout le monde au poteau. La sienne a été fondée en 1088. Chacun garde heureusement ses spécialités, comme dans les bons restaurants. Si Bologne est plutôt tournée vers le droit, Padoue a toujours mis les sciences en avant. Pensez à Galilée, même si la chose ne lui a pas porté bonheur!
De petites salles sous les toits
Il fallait fêter cela. La chose se fait notamment par une grande exposition qui se tient à côté de la cathédrale (assez moche, mais allez voir son célèbre baptistère, peint au XIVe siècle par Giusto de Menabuoni) dans le vaste Palazzo del Monte di Pietà. Le lieu abrite parfois des manifestations de prestige. Je vous ai ainsi parlé en 2013 de l’ensemble de chefs-d’œuvre du XVIe siècle réunis pour célébrer la mémoire du cardinal Bembo. Il existe pour cela de nombreuses salles, situées tout en haut du bâtiment. Le seul problème reste leur dimension. Il s’agit de petites chambres, aux murs inamovibles. Autant dire qu’il faut soit serrer, soit choisir des objets et des tableaux de taille modeste. La chose possède apparemment le mérite de permettre d’en aligner énormément. L’actuelle présentation rassemble plus de 400 œuvres, ce qui fait sans doute beaucoup. J’irai même jusqu’à dire un peu trop.

Mais de quoi traite au fait l’actuelle exposition? D’un sujet immense, qui peut se relier aux neurosciences. Si le titre, «L’occhio in gioco» (autrement dit «l’œil en jeu») peut sembler ludique, le propos ne s’attaque pas moins aux «perceptions, impressions et illusions», abordées ici sur le plan artistique. Tout part du Moyen Age pour arriver à l’époque actuelle. Ou presque. Le final de la manifestation tourne en effet autour du Gruppo N de Padoue, composé d’artistes dits «cinétiques». Un goût profondément lié aux années 1960 et 1970. Il suffit de citer Victor Vasarely, comme il se doit bien représenté. Les pièces du Gruppo N font l’objet d’un focus si important qu’il s’agit presque d’une autre exposition. Cette partie bénéficie du reste d’un «pool» de commissaires liés à l’Université, qui s’est lancée dans la psychologie de la perception dès 1919, avec une petite interruption sous le fascisme. Luca Massimo Barbero, qui a conçu le reste, passe ici la main.

La partie principale se révèle éblouissante. Elle commence par une ouverture temporellement éclatée mélangeant le cosmos selon Hildegarde de Bingen, František Kupka et Vassily Kandinsky. Le tout confronté à des livres astronomiques, dont le célèbre livre d’astronomie édité à Nuremberg en 1493 par Hartmann Schedel, ou à une pièce de Tomás Saraceno, le spécialiste contemporain des toiles d’araignées. La barre se voit mise très haut. La salle 2 proposera du coup aussi bien Paul Klee que Gino Severini, sur un fond de théories de Chevreul, le savant mort centenaire en 1889 qui a tant fait pour expliquer notre vision des couleurs. D’où le pointillisme, qui vaut au public un superbe paysage de Georges Seurat venu de Tournai. Un peu plus loin, dans la salle 3, il y a au mur une icône du futurisme. Je veux parler de la «Bambina che corre sur balcone» de Giacomo Balla, peint en 1912. Elle se trouve en bonne logique non loin de photos de Eadweard Muybridge décomposant le mouvement ou de films de Marcel Duchamp…

La suite se décline ainsi avec une sorte d’embarras de richesses. Il y a un amoncellement dans un espace un peu confiné. Ce défilé de merveilles, ou du moins de pièces intéressantes, finit d’ailleurs par essouffler. Chaque centimètre carré du sol semble compté. Alors que les lieux sont réduits, Luca Massimo Barbero a encore ajouté des vitrines au milieu, avec de la documentation ou de menus objets… Il vous prend par instants une forte envie de pouvoir respirer. Or les salles se succèdent quasi jusqu’à l’infini. Arrivé au bout de leur enfilade avec les débuts du Gruppo N (composé notamment de Marina Apollonio, Alberto Biasi, Edoardo Landi ou Manfredo Massironi, dont la notoriété n’a guère traversé les frontières), le public découvre qu’il lui reste encore un étage sous les toits. Celui de trop. J’aurais bien aimé en savoir davantage sur le Gruppo N quelques marches plus haut, mais j’avais déjà fait le plein. Comme on fait le plein d’essence. Il me faudrait une seconde visite, qui ne viendra pas…

Cette réussite «gugelhupf» (du nom de certains biscuits germaniques trop bourratifs) tranche sur la sobriété de la magnifique exposition au Palazzo Zabarella voisin du premier futurisme, dont je vous ai déjà parlé. Elle dure jusqu’au 26 février. Là il n’y a presque pas assez. Trop d’un côté. Trop peu de l’autre. La scientifique Padoue aurait dû mettre en pratique le principe des vases communicants…
Pratique
«L’occhio in gioco», Palazzo del Monte di Pietà, 14, piazza Duomo, jusqu’au 26 février 2023. Tél. 0039 049 823 48 82, site www.palazzodelmontepadova.com Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 19h, les samedis et dimanches de 9h à 20h. Contrairement à ce qu’avance le site, par ailleurs bien fait, la réservation ne me semble nullement nécessaire. Du moins en semaine.
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Exposition à Padoue – «L’occhio in gioco» joue sur les jeux optiques
L’énorme manifestation participe aux 800 ans de l’Université. Il y a trop de tout, mais il fallait oser passer de Georges Seurat à Victor Vasarely!