Durcissement régulatoire dans l’UEL’exode de la crypto européenne vers la Suisse s’accélère
Vent debout contre les nouvelles régulations jugées trop contraignantes, l’industrie crypto européenne – française en particulier – accélère son exode. La Suisse se positionne en terre d’accueil. Un fleuron français s’apprête à s’installer à Neuchâtel.

C’est une étoile montante de la scène tech et crypto française qui rejoint la Suisse romande. Sébastien Gouspillou, à la tête de la société de minage «vert» de bitcoins BigBlock Datacenter était ce mercredi à Neuchâtel avec le représentant de la Promotion économique pour ouvrir un compte à la banque cantonale BCN. Sa série de levées de fonds – 200 millions visés en six mois, pour devenir un des principaux acteurs mondiaux du mining – a débuté à Paris en février. Elle se terminera donc selon toute vraisemblance en Suisse, où sa nouvelle société BBZ devrait être immatriculée d’ici à quelques semaines. Un pincement au cœur pour cet ambassadeur de la french tech, «très patriote» de son aveu, et engagé depuis cinq ans à «porter le bleu blanc rouge sur la scène internationale».

«L’ambiance était devenue trop défavorable», regrette celui qui s’est récemment fait éjecter par sa banque française du jour au lendemain. «Rien à me reprocher, juste trop gros, trop de chiffres d’affaires, trop visible. Une double page dans Les Échos, le journal que lit mon banquier, a été le déclencheur.» Bien qu’ayant retrouvé une banque en France, celui qui conseille de nombreux gouvernements – dont le Salvador où il a effectué un séjour médiatisé – a pris sa décision: délocaliser en Suisse. «L’incertitude régulatoire s’ajoute maintenant à l’incertitude bancaire. En France, pratiquement tout le monde envisage actuellement la possibilité d’un départ.»
Colère en Europe face à l’incertitude régulatoire
Accéléré par les craintes de contournements des sanctions russes et la rhétorique sur le blanchiment des autorités, le resserrement de l’étau régulatoire autour de l’industrie crypto européenne met le feu aux poudres. Il y a deux semaines, c’est un article jugé très problématique du nouveau règlement MICA (markets in crypto assets) – débattu à Bruxelles – qui a fait craindre le pire. La proposition prévoyait une restriction très forte – bannissement de fait – de l’usage des cryptomonnaies dites proof of work – dont le bitcoin et l’ether – menaçant directement trois quarts de l’activité de l’industrie.
Les gros acteurs français avaient alors multiplié les prises de position dans les médias et sur les réseaux. Dans un post intitulé «Défendre la liberté financière», la licorne Ledger mettait en garde contre la «disparition de l’innovante et porteuse économie des actifs digitaux» en Europe.
L’article a finalement été rejeté en commission, sans pour autant que la nouvelle version de MICA ne suffise à rassurer les acteurs. Cette semaine, c’est une adaptation du règlement européen sur les transferts de fonds – la travel rule – incluant les cryptomonnaies, qui a été perçue comme un risque pour la compétitivité des sociétés européennes face à leurs concurrentes américaines et asiatiques. La restriction à détenir un portefeuille privé et le contrôle de l’origine de toutes les transactions cryptos opérées par les intermédiaires (quels que soient les montants) ne passent pas. Porte-voix de la scène crypto française, Alexandre Stachtchenko, fondateur de Blockchain Partner et à la tête de la division crypto de KPMG, s’est enflammé sur Twitter.
Le climat est électrique entre la députée européenne Aurore Lalucq, défenseuse d’un encadrement strict des cryptomonnaies, et les acteurs de l’industrie. La socialiste subit depuis plusieurs semaines les foudres de la sphère crypto française, les deux parties s’accusant mutuellement.
En fin d’après midi ce jeudi, le premier paquet de mesures, dont celles répressives à l’encontre des portefeuilles privés des utilisateurs, passaient la rampe en commission au parlement européen. Les autres allaient suivre. En soirée, les réactions ne se sont pas fait attendre.
La Suisse plus que jamais terre d’accueil
Alexandre Stachtchenko confirme que dans ce contexte explosif, «l’exode des sociétés européennes, françaises en particulier, va s’accélérer» et de citer comme destinations potentielles le Salvador ou la Suisse. Une accélération de l’exode à laquelle la Suisse se prépare. Alexis Roussel, COO de Nym et pionnier du bitcoin à Neuchâtel, dit recevoir régulièrement «des demandes de renseignements pour s’installer ici. Ce mouvement est déjà en cours et risque de s’amplifier à l’avenir.»
Ainsi, Quentin de Beauchesnes, fondateur d’Ownest à Paris, solution blockchain de traçabilité dans la logistique, a créé en octobre 2021 à Neuchâtel Beyond Blockchain. Une structure pour développer de nouveaux projets cryptos. Il travaille désormais à installer une succursale d’Ownest en Suisse, pour la gestion des crypto-actifs. «En France, on avait déjà un gros problème bancaire, avec la quasi-impossibilité de sortir des cryptos vers un compte et une fiscalité prohibitive. Maintenant, s’ajoute l’incertitude régulatoire.» Il se rapproche d’«amis à Neuchâtel» et cherche actuellement un logement pour s’installer avec sa famille dans l’arc lémanique.
La Suisse drague l’écosystème crypto français
Conscientes de l’opportunité économique pour la Suisse d’un climat européen délétère, associations et promotions économiques s’activent pour séduire et attirer les entrepreneurs cryptos français en plein désarroi. Pour preuve, l’organisation – en marge du Blockchain Week Summit qui se tiendra à Paris les 12 et 13 avril, d’un événement à l’Ambassade de Suisse à Paris, intitulé «La Suisse, lieu idéal pour développer vos projets blockchain et crypto». Coorganisé par Switzerland Global Enterprise, ainsi qu’Emi Lorincz, présidente de la Crypto Valley Association, il verra intervenir des entrepreneurs cryptos en Suisse, dont un Français venu créer sa société à Genève.

Parmi les messages que souhaite faire passer Emi Lorincz lors de son intervention, l’attitude «pragmatique et ouverte au business» des autorités, qui font de la Suisse «un choix naturel» pour développer des projets autour de la blockchain, des DLT et «applications globales dans une économie tokenisée». Emi Lorincz met en avant «un cadre régulatoire stable» et la force des communautés, notamment à Zurich, Zoug et Neuchâtel.
Détail piquant, Emi Lorincz travaille pour la licorne française Ledger, emblématique de la scène crypto française, qui apporte son soutien à l’événement. La directrice de la Cryptovalley Association précise que «Ledger cherche à attirer des talents», et qu’en cas d’exode plus massif, elle serait «heureuse de les accueillir dans nos bureaux zurichois».
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