
C’est un souvenir d’enfance. Non, je n’ai pas vu voler un vautour que j’aurais ensuite reproduit dans mon œuvre, comme Léonard de Vinci selon Sigmund Freud. Restons modeste! Je me rappelle juste être allé avec ma mère dans l’ancien aéroport de Cointrin, alors flambant neuf, au milieu des années 1950. Elle accompagnait une amie repartant pour Londres. Prendre l’avion restait rare à l’époque. On se disait adieu dans le hall. Et puis l’on partait sans avoir subi le moindre contrôle de sécurité. C’était une belle époque dans un joli vestibule.
Après Lausanne et Morges…
Ce vestibule et la halle située au-delà, devenus aujourd’hui léthargiques, ont repris du service ces jours. C’est là que se tient la version 2022 des très itinérantes «Puces du Design». Celles-ci ont commencé leur carrière au Flon lausannois. Il y a ensuite eu les baraquements de bois des CFF (Chemins de fer fédéraux) à Morges, remplacés depuis par de hideux bâtiments, eux hélas construits en béton. Les amateurs se sont ensuite rendus au Palais de Beaulieu à Lausanne dans une somptueuse halle «style années 1950». Le même goût architectural qu’ils retrouvent aujourd’hui à Cointrin, dans une aérogare T2 momifiée en l’état. Un endroit où des marchands seulement suisses et étrangers ont déballé jeudi des stands affichant des prix non pas de brocanteurs mais d’antiquaires. J’ai ainsi repéré une ou deux étiquettes à cinq chiffres et de nombreuses autres à quatre numéros. C’est en moyenne plus cher que la marchandise aujourd’hui présentée avant les ventes de mai par Genève Enchères rue de Monthoux!

Il faut dire que ces puciers de luxe ont mis dans le mille. Tout se veut ici années 1950 et 1960. «Il y a vingt ans que c’est à la mode, et le public ne semble pas se lasser», admet un vendeur. C’est vrai! Il y a eu l’Art nouveau, puis l’Art déco, les années 1930 et 1940. Un lent défilé, mais continu. Depuis le nouveau millénaire, rien ne semble plus bouger. Avec une petite inquiétude tout de même. Si l’on a tout de même continué à créer (du moins un peu), s’est-on encore montré capable de créer ce que j’appellerais «un style» depuis 1970? Grave question, que j’avais l’impression de rester seul à me poser dans Cointrin. Les bobos sans trop d’imagination qui défilaient semblaient eux rechercher des éléments répondant au langage codé régnant dans leur univers faussement «cool». Chacun des meubles ou des objets proposés leur permet en effet de «donner du signe».
Juke-box en forme de lyre
Evidemment, sous ce signe de ce qui est devenu le banal, le meilleur côtoie le pire. Dans le luxe, j’ai ainsi vu deux motos posées sur le tapis tournant véhiculant normalement des valises. Un extraordinaire «jukebox» Wurlitzer de 1947 en forme de lyre, conçu pour des 78 tours de jazz. Quelques enfilades scandinaves (dont une de trois mètres de long!) en bois dur. L’affiche pour des Lucky Strike, où une dame en chapeau à voilette tient une cigarette entre deux de ses doigts gantés. Une spectaculaire tribune pour arbitre de tennis des années 1960. Voilà qui nous change des icônes indéfiniment répétées. J’ai presque eu envie de hurler en voyant le fauteuil avec tabouret en cuir noir dessiné par Ray et Charles Eames. «Et quand je pense que mes parents ont jeté le leur», s’écrie pourtant une visiteuse à côté de moi, moins impressionnée par le design que par le tarif affiché.

Il y a en effet du monde en dépit du peu de publicité, du moins dans la rue. Le site (www.pucesdudesign.ch) me paraît certes très bien, mais je demeure habitué aux affiches. Comme à l’époque. En ce vendredi matin, certaines personnes repartent du reste déjà avec leur paquet sous le bras, avec les couches de bullé indispensables. De jeunes couples atermoient. Ils ont tort. Les bonnes occasions (il y en a tout de même) n’attendent pas. Voilà. Je vois de loin Alexandre Ding surveillant la foire qu’il organise. Pour moi, c’est fini. J’ai souri en voyant dans un coin les poubelles écologiques invitant au tri citoyen. Avouez que dans un aéroport il fallait oser! Puis j’ai emprunté la piste verte pour sortir, au-delà des portes, à l’extérieur. C’est celle qui nous dit depuis bien longtemps: «Rien à déclarer».
Pratique
«Les Puces du design, Aéroport de Cointrin, bâtiment T2. On visite encore le samedi 30 avril de10 à 19h et le dimanche 1er mai de 10h à 17h. «Le Salon du design», qui se tient lui au Pavillon Sicli, se déroulera en 2022 les 5 et 6 novembre.
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Marché de l’art – «Les Puces du design» reviennent à Cointrin
La foire genevoise se concentre à nouveau sur les années 1950 et 1960. Elle a trouvé avec l’ancien aéroport, resté dans son jus, un cadre idéal.