Pour mieux comprendre les enjeux des divers procès intentés envers les plateformes d’IA générative, j’ai eu l’occasion de demander à Steven Levy son point de vue.
Il est l’un des journalistes technologiques les plus estimés depuis 30 ans et ses articles ont été publiés dans les plus grands journaux américains, dont le New York Times, Newsweek et Wired. Aujourd’hui sa chronique hebdomadaire Plaintext réservée aux abonnés est également disponible sous forme de newsletter.
Emily Turrettini: «Est-ce justifié que Getty Images, un collectif d’artistes et de développeurs portent plainte pour l’exploitation de leurs contenus à but d’entraînement des grands modèles de langage?»
Steven Levy: «Excellente question, Emily. Vous faites référence à celle déposée par Getty Images contre Stable Diffusion pour avoir illégalement copié et traité des millions d’images protégées par le droit d’auteur.
Ce n’est pas la première intention de ce type: en novembre, le logiciel d’assistance à la programmation Copilot de GitHub a également été poursuivi par un ensemble de développeurs pour sa capacité à générer des lignes de code sans attribution appropriée.
Bien entendu, ce sont les tribunaux qui détermineront si ces plaintes sont recevables dans une Cour de justice. Je ne suis pas avocat, mais je pense que les images générées par Stable Diffusion et Dall-E ainsi que les codes informatiques générés par ChatGPT, ne devraient pas être exonérés de la loi sur la protection du droit d’auteur. Si les résultats générés par l’IA semblent être l’œuvre d’un artiste individuel, alors l’IA est aussi coupable qu’un voleur de propriété intellectuelle en chair et en os.
«La question est de savoir si nous allons permettre aux IA de bénéficier des mêmes droits et avantages que ceux accordés aux individus»
Mais lorsqu’il s’agit de l’entraînement des grands modèles de langue, l’issue est floue. Certains plaignants argumentent que l’exploitation de données massives pour entraîner une IA, dont une partie n’est pas libre de droit, a pour conséquence de générer des copies illégales.
Pourtant, dans un procès intenté à Google Books, un juge a considéré que la numérisation de millions de livres protégés par le droit d’auteur était un service qui transformait l’œuvre en quelque chose de nouveau. Par ailleurs, l’indexation des extraits d’ouvrages dans leur moteur de recherche rendait service à la collectivité.
Un écrivain ou un artiste ne développe pas un style dans le vide. Leur création est le résultat de toutes sortes d’influences. Parfois, elle est même discernable dans l’œuvre et il n’y a rien d’illégal à cela.
La question est de savoir si nous allons permettre aux IA de bénéficier des mêmes droits et avantages que ceux accordés aux individus, c’est-à-dire leur permettre de s’appuyer sur les épaules des héros du passé.
La grande différence est que l’IA peut être influencée par des milliards de données, bien plus que ne pourrait assimiler un être humain.
C’est une question difficile et plutôt que d’étendre nos lois actuelles pour aborder ces questions bizarres, nos législateurs devront trouver une nouvelle jurisprudence pour ces développements sans précédent. Good luck with that!»
Bien qu’Emad Mostaque, PDG de Stability, a déclaré en novembre que les futures versions de Stable Diffusion permettraient aux illustrateurs de refuser que leurs données soient collectées pour l’entraînement, une troisième action en justice a été lancée par des artistes contre Midjourney, Stable Diffusion et DreamUp. Ils revendiquent au nom de milliers de créatifs «consent, credit and compensation» (le consentement, l’accréditation et la compensation) pour leur travail aspiré du Web à leur insu puis traité par l’IA.
Mais leur plainte fait déjà l’objet de critiques parce qu’elle contient des inexactitudes techniques importantes - notamment en affirmant que le logiciel rassemble des morceaux d’images sous forme d’un collage, quand en réalité les images sont créées de toutes pièces sur la base de représentations mathématiques.
S'il y a une certitude, c’est que les avocats en droit d’auteur numérique ont de beaux jours devant eux.
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Innovation – Les poursuites contre les IA génératives s’intensifient
La justice devra décider si l’exploitation de données massives pour entraîner une IA est couverte par la doctrine du Fair Use (l’usage loyal) et si une image générée par une IA dans le style d’un artiste constitue une violation de droit d’auteur.