Stratégie marketingLes partenariats entre marques sont devenus une arme de vente massive
Ces dernières années, les collabs ont redéfini nos façons de consommer. L’attente, le buzz et la spéculation font partie du jeu. Une formule marketing magique à laquelle tous les secteurs semblent succomber.

Ces derniers temps, on a l’impression que tout est affaire de collaborations. Le ketchup, le vin, les vêtements, les parcs animaliers, les montres, les céréales, ma dernière paire de chaussures – des Vans x Magenta – et la trottinette de mon voisin, tout, oui vraiment tout se décline sous forme de partenariats. Des associations de marques parfois bienvenues – les uniformes designés par Nike SB et l’artiste Parra, véritables stars des JO de Tokyo – parfois saugrenues – la mayonnaise vert fluo née de l’union entre Heinz et la boisson énergisante Monster.
Créer un OVNI
«Ce n’est pas un hasard si les marques se ruent sur la formule, analyse Hervé Rigal, directeur de la stratégie pour l’agence Base Design. En proposant un objet unique, né d’une association impromptue et souvent limitée en nombre et dans le temps, on crée une attente et un OVNI. Depuis quelques années maintenant, la recette est largement exploitée.»
Pour le spécialiste, il convient de distinguer deux tendances fortes présentes aujourd’hui sur le marché. D’un côté, il y a des collaborations commerciales, une association de logos qui n’apportent pas beaucoup plus que la surprise de voir deux noms juxtaposés sur un même produit. De l’autre, il existe des partenariats plus ambitieux, où les univers de deux marques se rencontrent autour d’une volonté commune d’innover. Dès lors, la collab devient disruptive et se transforme en véritable arme marketing.
La MoonSwatch, cet incontournable
Parmi tous les exemples, la MoonSwatch est l’incontournable du moment. La montre, née de l’association entre Swatch et Omega est sur toutes les lèvres – et les poignets – depuis sa sortie fin mars et les queues générées les jours de drop – arrivée de stock – devant les boutiques témoignent de cet engouement. Sur les sites de revente, les différents modèles sont proposés deux à cinq fois plus chers que le prix en magasin et le hashtag MoonSwatch frise les dix millions d’occurrences sur Instagram.
«La collaboration permet de s’ouvrir à une autre clientèle sans trahir son ADN, puisqu’il s’agit d’une opération exceptionnelle.»
«Pour moi, cette montre fait clairement partie des collaborations innovantes, tranche Maria Bashutkina, adjointe scientifique au centre du marketing horloger de la Haute École de gestion Arc. Dans un secteur de l’horlogerie plutôt conservateur, les deux marques ont osé mélanger leurs identités – le côté très pop de Swatch et la classique Speedmaster de chez Omega – pour obtenir un produit à la frontière des deux mondes.»
À 250 francs l’exemplaire, la plus prestigieuse des deux enseignes s’est aussi aventurée sur un positionnement inédit. «La collaboration permet de s’ouvrir à une autre clientèle sans trahir son ADN, puisqu’il s’agit d’une opération exceptionnelle, poursuit Maria Bashutkina. Dans ce cas précis, les jeunes et les collectionneurs, qui n’ont pas encore les moyens de s’offrir une Omega, font un premier pas dans l’univers de la marque, qui pourra capitaliser dessus dans le futur.»
De Stockholm à Genève
Depuis le Musée du skate, situé dans une zone résidentielle de Vernier (GE), Jim Zbinden garde un œil attentif sur le monde des partenariats. Loin du faste de l’horlogerie et de l’agitation des centres-villes, ce pionnier du marketing de collabs rappelle – entre deux merguez grillées dans le jardin – que la formule n’est pas réservée au luxe et aux grands noms. «Pour moi, la collaboration prend une autre dimension quand elle allie un petit – comme sa marque Pulp 68 – à un grand. C’est dans ces associations presque contre nature que les codes explosent et que le processus créatif devient vraiment pertinent.»

«La collab est devenue globalisée, voire industrialisée.»
Le pouce sur l’écran de son smartphone, il dévoile sa dernière trouvaille. Plus Licence AB, une société basée à Stockholm, vient de le contacter pour discuter d’une possible collaboration avec la marque de mode californienne Paul Frank ou l’Université UCLA. «Ce type de démarche, c’est une première pour moi, confie Jim Zbinden. Ça montre à quel point la collab est devenue globalisée, voire industrialisée.»
Pour en savoir plus, direction la Suède – par visio – où Eva Karlsson, directrice commerciale, et Malin Jähde Holm, directrice des collaborations, s’amusent de cet embryon de partenariat qui a mis sur leur chemin un journaliste suisse. Une preuve supplémentaire que le processus permet de s’ouvrir à un autre public. «Nous représentons une société indépendante spécialisée dans les contrats de licence, indique la première. Nous sommes à la fois courtières et facilitatrices pour des marques qui cherchent à s’étendre et à se positionner, principalement en Europe, via des partenariats.»
Comment ont-elles déniché Pulp 68 depuis leurs bureaux de Stockholm? Via une rapide enquête sur les réseaux tout simplement. «Pour ces deux clients nous recherchons des personnalités locales actives dans leur communauté et porteuses de valeurs, explique Malin Jähde Holm. Jim semble répondre à ces attentes. Par ailleurs skate et Californie sont liés par l’image. L’association fait du sens.»
La logique pop-up
Fin de la visio et retour en Suisse. À Manor plus précisément, où les petits créateurs et entrepreneurs locaux sont de plus en plus visibles dans les rayons du grand magasin. Une logique de pop-up – des boutiques éphémères – qui participe, à sa manière, à la déferlante collab. Sauf qu’ici, pas de noms accolés sur un T-shirt, mais plutôt un partage de compétences et de domaines d’expertise.
«Depuis maintenant trois ans, Manor a accéléré sa réflexion autour du partenariat, avec pour objectif d'améliorer constamment l'expérience client, explique Benjamin Flückiger, directeur du développement stratégique. Nous sommes aujourd’hui associés avec succès à des grands noms, comme FNAC ou Sephora à l’échelle nationale, mais aussi à de petites enseignes au niveau local. Pour ces dernières, j’emploie volontiers le mot collab. Il est plus sympa et plus représentatif des enjeux.»
«Chez Manor, une grand-mère de 80 ans nous a quand même acheté des Nike Dunk.»
Dans les locaux de Manor en centre-ville de Genève, on retrouve actuellement Hideout, revendeur de sneakers – baskets de collection – qui dispose de 12 m2 pour exposer ses chaussures. Une «opportunité rare de grandir», selon le cofondateur, Vincent Borgeat.
«Nous avons toujours eu pour mission de démocratiser les sneakers, confie le principal intéressé. Manor, c’était l’opportunité de s’ouvrir au grand public et de bénéficier d’un lieu central avec beaucoup de passage. Ici, une grand-mère de 80 ans nous a quand même acheté des Nike Dunk et un client, qui n’avait jamais porté de sneakers, s’est offert une paire à 1900 francs. Quand on fait ce genre de ventes, on sait qu’on est au bon endroit.»
De son côté, Manor, par la voix de Benjamin Flückiger, se félicite de proposer un «service innovant» à ses clients, tout en profitant des «compétences» et de «l’agilité» d’une petite structure. Sans oublier la commission prélevée sur chaque vente? «Nous avons construit une relation de proximité avec Manor, ce qui nous a permis de discuter de tout très ouvertement, afin que tout le monde s’y retrouve, confie Vincent Borgeat. Le côté win-win de la collab.»
Avant de conclure, on profite d’avoir le spécialiste sous la main pour sonder un peu le marché. Si toutes les collaborations sont synonymes de succès, que valent finalement mes Vans x Magenta? Après un rapide coup d’œil et un petit tour sur internet, le verdict tombe… malheureusement pas grand-chose.
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