
Vingt-cinq éditions depuis 1997. Comme Bienne a fatalement vécu une «année zéro», la chose signifie qu’il y a eu un an d’inactivité (apparente) forcée. Il s’agit bien sûr de 2020. Les «Journées photographiques», qui fêtent donc aujourd’hui leur quart de siècle, ont par ailleurs connu des hauts et des bas comme tout festival qui se respecte. Il y a ainsi eu une menace d’interruption définitive. Puis Hélène Joye Cagnard a repris les rênes d’une manifestation organisée autant pour le 8e art qu’en tant que vecteur de diffusion lié aux grandes questions de notre temps. Hélène est partie s’occuper de culture en Valais, où il y a beaucoup à faire dans un autre canton bilingue. Sarah Girard l’a remplacée en 2018.
Archives en ordre
Ancienne photographe («J’ai arrêté en 2013, mais j’y reviendrai après ma retraite»), Sarah a donné une édition forte en 2019. «Il y avait alors vingt-six expositions». Puis est venu ce couvercle posé sur la marmite qu’incarne la pandémie. L’impossibilité de proposer au public des projets, dont certains semblaient très avancés, n’a pas impliqué l’arrêt du travail. «Il y avait deux gros chantiers. Celui du site, qui devait prolonger notre existence toute l’année, et celui des archives.» Les «Journées photographiques», c’est aussi une mémoire avec le défilé d’artistes non seulement suisses, mais internationaux. «Nous avons ainsi pu mettre à disposition des personnes intéressées le produit de nos dix premières éditions.» Vous en déduirez comme moi qu’il en reste quinze autres en chantier. Mais personne ne souhaitera un troisième confinement national pour cela…

Sarah Girard a aussi eu le temps de réfléchir à un thème pour 2021, puis pour 2022. A part la première mouture, celle de 1997, toutes les «Journées» ont tourné autour d’un sujet parfois élastique. C’est ce qui les distingue d’«Images» de Vevey, qui constitue par ailleurs une biennale (1). «Vevey possède par ailleurs un côté plus familial, plus festif, avec beaucoup d’événements situés à l’extérieur, comme ces immenses tirages couvrant des façades entières.» Il faut dire qu’il y a aussi davantage d’argent et de monde au bord du Léman. «A Bienne, nous restons deux personnes à quatre-vingts pour-cent (2).» Pas de risques ici de conflit de pouvoir… «Je choisis, puis je donne aux artistes des cartes blanches. Je travaille plutôt dans la confiance.» Il n’y a pas que les présentations. Comme les «Rencontres» d’Arles, les «Journées» de Bienne organisent des activités en amont sous forme d’ateliers. «Il y a notamment eu cette fois celui avec les pensionnaires d’un foyer pour personnes âgées.» Et il se place en aval des animations avec le public. «Je favorise l’idée d’un travail de fond continu, le festival lui-même finissant au bout de trois semaines.»
Réparer et reconstruire
Quoi de neuf en 2022? «J’ai d’abord réduit la voilure. Des vingt-six expositions de 2019, nous étions passés à vingt en 2021. C’est un bon nombre. Il permet de mieux nous occuper des projets, de les suivre et de les encadrer.» Je signalerai au passage que le prestigieux Arles a également diminué son volume. Est ensuite venue la détermination du thème général. «J’ai finalement opté pour «Recover». Il y a là l’idée de réparation. De reconstruction.» Le petit texte surmontant le programme donné au public pose du reste une question, avec la réponse que je devine positive. «L’image peut-elle être au commencement d’un processus de guérison?». Ceci tant pour les victimes des conflits ensanglantant la Planète (dont ici les guerres oubliées du Liberia) que pour les angoissés du Covid ou ceux qui se remettent d’un grave cancer. «Reto Camenisch, qui sert de fil rouge à la version actuelle des «Rencontres», est parti guéri pour l’Inde, où il a changé ses pratiques photographiques.» Il y a notamment du Bernois une énorme photo tirée sur bâche dans le jardin à l’ancienne du Musée Neuhaus, transformé en salon de thé.

La tonalité générale de l’édition actuelle reste grave, mais sans catastrophisme. Nous ne sommes pas dans le sensationnalisme journalistique. Il y a une nette volonté de se montrer positif, alors que tout semble partir en eau de boudin. Au Forum Pasquart, Silvia Rosi se situe harmonieusement entre le Togo des origines et l’Italie où elle est née. Aàdesokan peint sur des assiettes (qu’il photographie ensuite) en mémoire d’un ami proche suicidé. Dans une vidéo commentée par la voix de l’artiste sur fond d’images familiales, Aykan Safoğlu raconte sa difficile insertion dans une culture germano-turque. La Suissesse Zoé Aubry aborde la question du féminicide au Mexique par un biais guérisseur. «Après la mise en ligne de clichés immondes d’un cadavre, des femmes ont décidé d’inonder le «cloud» des plus belles photos afin de faire cesser un voyeurisme alimentant le pire.»
Chinois en résidence
Hors de Pasquart, centre culturel dont un étage seulement est occupé par les «Rencontres», il y a l’habituelle promenade entre le Musée Schwab et la Vieille Ville, qui reste l’une des plus jolies de Suisse. L’une des plus conviviales aussi, dans la mesure où les terrasses de bistro se multiplient au moindre rayon de soleil. Que retenir ici? J’ai éprouvé un faible pour l’installation au Grenier (une merveilleuse maison du XVIe siècle, où Goethe passa quelques nuits) des Chinois Wu Yumo et Zhang Zeyangping. «Ils sont venus chez nous après une résidence de trois mois au Crochetan de Monthey.» Les duettistes ont photographié la Suisse, avec ses sapins perchés en haut des falaises, comme s’il s’agissait de montagnes de leur pays. «Il ne faut pas oublier que la plus grande régénérescence reste celle de la nature. Chaque année recommence son cycle. Les forêts repartent en gagnant un peu de surface, même si nous nous attaquons sans cesse à elles.»

D’autres propositions me semblent à citer. L’Américaine Claire Beckett a portraituré «Les convertis», présenté au Musée Schwab. Comprenez par là ceux à l’islam. Quelle place pour eux? Jusqu’où va notre tolérance à leur égard? Les images accrochées vont du «soft» à l’agressif. Que penser d’une Occidentale portant la burqa? Allons-nous répondre à cet extrémisme par le nôtre? L’artiste ne donne pas son point de vue. Moins aventureux, le Russe Igor Tereshkov montre le Covid et son grand vide social à travers des images prises avec un appareil sensible non pas à la lumière, mais aux températures ambiantes. C’est un univers étrange, coloré jusqu’au bariolage, avec une sorte de beauté calme. Je m’arrêterai là. Vous devez faire vos propres découvertes. Je signale tout de même in fine (je cause parfois latin) les tirages géants de Laurence Rasti accrochés sur les hauts murs de l’Untergasse (ou Rue Basse, puisque nous sommes dans une ville bilingue). Ces «Délits de séjour» montrent des clandestins de Genève pris avec l’appui de la Ville de Genève. Le monde se révèle comme cela plein de paradoxes…

(1) La prochaine mouture d’«Images» se déroulera du 3 au 25 septembre 2022.
(2) L’autre personne est Estelle Moser.
Pratique
«Rencontres photographiques», divers lieux dans la ville, Bienne jusqu’au 29 mai. Site www.bielerfototage.ch Ouvert les mercredis et vendredis de 12h à 18h. Le jeudi de 12h à 20h. Les samedis et dimanches de 11h à 18h.
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Festival photographique – Les «Journées» de Bienne fêtent leur quart de siècle
Il y a cette année vingt expositions, réparties dans la ville. Sarah Girard reste à la tête de ces rencontres, qui veulent unir le fond et la forme.