
On ne peut pas dire que les expositions aient «repris» en Suisse depuis un an. Elles n’ont jamais arrêté depuis le printemps 2021. Il suffit de regarder ce qui se passe ailleurs en Europe ces temps. Il y a davantage de choses à voir chez nous qu’en France par exemple, où la machine tourne un peu au ralenti. Je vous ai parlé ces derniers mois de bien des accrochages helvétiques. Certains demeurent encore à l’affiche, parfois pour quelques jours à peine il est vrai. Je vous propose aujourd’hui mon «best of», comme on dit en bon français. Je profite surtout de l’occasion pour vous présenter six grosses machines n’ayant pas encore trouvé leur place dans cette chronique, alors que j’ai vu certaines d’entre elles il y a longtemps. Voici donc un état des lieux, alors que Genève s’apprête à vernir deux expositions à l’Ariana (c’est pour le 24), les nouvelles présentations du Mamco (prévues le 22), celles du Centre de la photographie (agendées le 23) et accueillir le dixième Artgenève à Palexpo (vernissage le 2 mars).
Je ne vous ai pas encore parlé de…
«Au nom de l’image» au Museum Rietberg de Zurich. Spécialisée dans les arts extra-européens, l’institution alémanique n’a pas eu froid aux yeux. Elle s’est attaquée à la question de l’iconoclasme dans la chrétienté en en terre d’Islam. Les musulmans n’ont pas toujours fermement condamné les représentations humaines et animales. Les orthodoxes, en apparence si fidèles aux icônes, les ont en revanche par deux fois brûlées à Byzance au VIIe et VIIIe siècles. Très intelligente, l’exposition se révèle cependant un peu bavarde. Il y a des textes partout. Il faut dire qu’on marche ici sur des œufs. Les objets montrés se révèlent par ailleurs fort beaux (jusqu’au 22 mai, www.rietberg.ch)

«Henry Brandt, cinéaste et photographe» au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. En 1964, le Romand faisait sensation à l’Exposition nationale de Lausanne. Il y montrait ses films, plutôt critiques, sur le «Swiss way of life». Le public retrouvera ceux-ci au milieu des images, souvent ethnographiques, de ce franc-tireur dont on célébrait en 2021 les 100 ans de la naissance. Comme souvent au MAH de Neuchâtel, la présentation reste un peu sinistre, mais l’homme a jeté durant sa carrière un beau regard sur les écoliers comme sur les personnes âgées. Les commissaires lui cherchent bien sûr des poux pour sa vision colonialiste du Congo (jusqu’au 29 mai, www.mahn.ch)

«Fluidités» au Musée des beaux-arts du Locle. Après les femmes, les Noirs. L’institution jurassienne donne dans le politiquement correct, mais avec intelligence et goût. Il s’agit à nouveau d’un paquet ficelé. Autour de «New Black Vanguard», découvert l’an dernier à Arles, il y a des travaux de l’ECAL, Erwan Frotin et surtout Namsa Leuba qui, comme son nom l’indique, est pour moitié de la région. Difficile de faire plus neuchâtelois que Leuba, même si l’artiste se place toujours davantage parmi les meilleures photographes faisant le pont entre l’Europe et l’Afrique. Encore une fois au MBAL, la mise en scène est parfaite (jusqu’au 24 avril, www.mbal.ch)
«Sortir du bois, A la lisière du style sapin» au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds. La capitale horlogère a créé sa propre version de l’Art nouveau vers 1900 en se basant, pour ses motifs, sur la flore locale. Les noms de Charles L’Eplattenier et du Corbusier ont éclipsé d’autres artistes et artisans. Le musée a décidé de tirer six d’entre eux d’une injuste obscurité. Il y a là trois femmes: Henriette Grandjean, Marie-Louise Goering et Sophie l’Eplattenier (la sœur de Charles). Au cœur de l’exposition se voient présentés des vitraux de Jules Courvoisier, le futur grand affichiste. Ce cycle religieux a été redécouvert tout récemment dans une cave (jusqu’au 29 mai, www.mbac.ch)
«Louise Bourgeois x Jenny Holzer» au Kunstmuseum de Bâle. Le titre peut porter à malentendus. Il s’agit en fait là d’une rétrospective Louis Bourgeois par sa consœur Jenny Holzer, une des papesses de l’art minimal. Séparées par une, voire deux générations, les deux femmes se sont bien connues. D’où cet hommage sans cartels, où les œuvres constellent les murs parfois jusqu’au plafond. Il y en a 257, regroupées par styles et par thèmes. Le parcours continue dans les salles du Hauptbau avec diverses interventions dans les salles d’art classique. La chose suppose bien sûr une adhésion du public, au départ quelque peu décontenancé (jusqu’au 15 mai, www.kunstmuseumbasel.ch)

«Georgia O’Keefe» à la Fondation Beyeler de Riehen/Bâle. Pour ses 25 ans, la Fondation accueille l’étape germanique d’un hommage à l’artiste américaine qui a déjà passé par Paris et doit ensuite se poser à Madrid. Morte quasi centenaire en 1986, la femme a souverainement traversé la peinture américaine durant sept décennies. On connaît surtout d’elle les fleurs, cadrées en très gros plans résolument sexués. Mais il y a aussi les vues de New York ou le désert du Nouveau-Mexique. Revu à Bâle dans un musée campagnard bénéficiant de la lumière naturelle, l’art de Georgia O’Keefe produit une toute impression qu’à Beaubourg (jusqu’au 22 mai, www.fondationbeyeler.ch)
Je vous recommande…
«Hermann Scherer», au Kunstmuseum de Bâle. Mort en 1927 à 34 ans, ce peintre d’origine allemande a énormément produit dans ses trois dernières années d’existence après avoir détruit ses œuvres précédentes. Comme son ami Albert Müller (avec qui il finira par se brouiller), il s’est mis sous l’aile expressionniste d’Ernst Ludwig Kirchner, installé à Davos. L’actuelle présentation tourne autour des xylographies et illustrations de Scherer. Les matrices viennent en effet de se voir données au musée par la fondation garante du souvenir de l’artiste. L’accrochage se voit complété par quelques grandes sculptures sur bois coloré (jusqu’au 18 avril, www.kunstmuseumbasel.ch)

«Corpus, Le corps et le sacré» au Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Le Christ s’est incarné. Il s’est donc fait chair. Ce point théologique constitue le départ d’une réflexion autour de la matérialité des corps et de l’esprit de sainteté. Les hommes (et donc les femmes) ont éprouvé le besoin de voir ou de toucher des reliques. Il leur a fallu une communion avec le divin. Ils ont aussi voulu pouvoir représenter les figures du Paradis afin de mieux travailler leur foi. Remarquable, l’exposition embrasse aussi bien des œuvres d’art anciennes et modernes que les objets quotidiens. Attention! «Corpus» va sur sa fin. Ce sont les derniers jours (jusqu’au 27 février, www.fr.ch)
«Le mythe du samouraï» à l’Historisches Museum de Berne. C’est une classe de guerriers, aux rites complexes mais exigeants. Nous en avons cependant une image tardive. Pacifié depuis 1603, le Japon n’a plus guère eu recours à leurs services, d’où un lent déclassement alors que le shogun règne à la place de l’empereur. Le musée bernois, qui donne aussi dans l’ethnographie, propose ici une partie de la collection formée par Gabriel Barbier-Mueller, qui a créé son musée à Dallas. Cet ensemble, exceptionnel sur le plan quantitatif et qualitatif, se voit encadré par des objets plus modestes provenant du fonds propre de l’Historisches Museum (jusqu’au 5 juin, www.bhm.ch)

«Le feu baroque, Estampes et dessins de Giovanni Benedetto Castiglione» au Kunsthaus de Zurich. Génois, mais actif un peu partout en Italie, Castiglione (1609-1664) a bien sûr exécuté de grands tableaux d’autel ou des pastorales sur toile. L’essentiel de son apport tient cependant à ses dessins à l’huile sur papier et à ses gravures, souvent traitées sous forme de monotypes. Le musée zurichois en a réuni environ quatre-vingt, en empruntant ces pièces à la plupart des cabinets européens, la plus grande prêteuse restant Elizabeth II. Il semble difficile de résister à autant de fougue, l’idée étant de donner l’illusion de la vitesse et de l’inachevé (jusqu’au 6 mars, www.kunsthaus.ch)
«XXL, Le dessin en grand» au Musée Jenisch de Vevey. Ils s’appellent Marc Bauer, Anne Peverelli, Frédéric Clot, Ariane Monod, Martial Leiter ou Line Marquis. Tous pratiquent le dessin, avec une préférence avouée pour celui qui occupe une certaine place aux murs. Le Jenisch leur a donné parte blanche afin qu’ils livrent chacun(e) une somme de traits noirs. Certain(e)s ont choisi le papier. D’autres ont travaillé directement sur les murs. Il s’agit dans ces cas-là d’installation éphémères. En général très figuratif, le résultat s’apparente souvent à l’agrandissement photographique. Ici aussi, l’exposition arrive à son terme. Dépêchez-vous! (jusqu’au 27 février, www.museejenisch.ch)

«Art du Đông Sơn, Asie du Sud-Est» au Musée Barbier-Mueller de Genève. Les derniers coups de cœur de Jean-Paul Barbier-Mueller sont allés aux bronzes archéologiques du Vietnam, alors pratiquement inconnus. Produits dans l’Antiquité pour les élites locales, ils se sont vus exportés jusqu’en Indonésie. Le musée privé détient le plus bel ensemble du genre hors de sa terre d’origine. Ce dernier se voit encore présenté dans sa totalité pour quelques jours. Il y a là des boîtes, des poignards et des sortes de cloches, absolument magnifiques. Comme toujours rue Calvin, la présentation fait beaucoup pour les mettre en valeur (jusqu’au 28 février, www.barbier-mueller.ch)
Voilà! Vous n’avez plus qu’à vous mettre en route. Elle risque cependant de se révéler longue. Je l’ai souvent constaté depuis maintenant deux ans de périples à travers le pays. Genève a beau se croire à la tête de tout. Géographiquement parlant c’est hélas, comme dirait le vulgaire, le trou du cul de la Suisse vu de Schaffhouse ou des Grisons…
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Sélection subjective – Les douze expositions qu’il faut voir en Suisse
Le panorama est riche de Bâle à Fribourg et de Zurich à Vevey. Reste hélas que les distances se révèlent longues depuis Genève. Nous sommes loin de tout!