CryptomonnaiesL’épargne en bitcoin gagne du terrain
L’investissement crypto à long terme progresse, essentiellement sur bitcoin. Au-delà de l’accumulation cyclique, apps d’épargne et prévoyance en bitcoin laissent entrevoir un changement de perception des investisseurs.

Deux pays, deux applications, deux levées de fonds remarquées… mais un même créneau: l’épargne en bitcoin. Une option qui séduit un nombre croissant de particuliers «écureuils», désormais plus versés dans l’accumulation patiente que dans la frénésie spéculative.
Côté suisse, la zurichoise Relai App annonçait en mars une levée de 4,5 millions de francs auprès de Lightning Ventures et Ego Death Capital. Spécialisée dans le dollar cost averaging, Relai App permet d’investir en bitcoins une somme fixe de francs suisses, possiblement versés à périodicité fixe (par ordre permanent) quel que soit le cours. Jouant sur la simplicité d’usage, l’application crée automatiquement un porte-monnaie électronique (wallet), contrôlé par l’investisseur.
Vague de primo-investisseurs
En avril, c’était au tour de la française Bitstack de lever 2 millions d’euros. Son produit d’appel: une épargne en bitcoin réalisée à partir d’un arrondi sur l’ensemble des paiements numériques effectués par le client, des centimes accumulés puis convertis périodiquement en bitcoins. «50% de nos clients sont des primoacheteurs», met en lumière le fondateur Alexandre Roubaud, pour qui l’argument différenciateur est d’offrir «un point d’entrée facile dans la crypto».
On aurait pu s’attendre à voir le grand public échaudé après une année 2022 cataclysmique sur les marchés cryptos, marquée par un recul de 70% sur fond de scandales Terra et FTX. Au vu de la santé insolente des deux jeunes pousses, il n’en est rien. Lancée en juin 2022, Bitstack affiche 25’000 comptes créés et 5 millions d’euros épargnés, et propose désormais – comme Relai App – le dollar cost averaging, au travers duquel «60% de nos clients poursuivent le parcours», selon Alexandre Roubaud. Une dynamique similaire s’observe chez les Suisses de Relai App, qui sont passés de 30’000 à 60’000 comptes en un an. «À part à l’été 2022, nos taux de croissance trimestriels se sont établis entre 30% et 100%», se félicite Julian Liniger.
Positions à long terme et phase d’accumulation
L’idée reçue d’une approche strictement spéculative des cryptomonnaies a du plomb dans l’aile. La confiance sur le long terme se vérifie dans la durée de détention des bitcoins dans les portefeuilles des investisseurs.

On constate que près de 30% de l’offre globale de bitcoins est détenue par des investisseurs entrés depuis plus de cinq ans, et 40% depuis plus de trois ans. Dans cette optique, l’année 2022, qui a vu le bitcoin passer de 60’000 à un plus bas de 15’000, a pu être perçue comme une opportunité d’entrer ou d’augmenter son exposition. C’est ce que met en évidence une étude menée par KPMG France, et sur laquelle a travaillé le fondateur de Blockchain Partner, Alexandre Stachtchenko: «Sur les différents pays étudiés, en particulier la France, on constate une hausse du nombre de détenteurs de cryptomonnaie en 2022, malgré une année très compliquée sur les marchés.» Les Suisses gardent également confiance dans l’investissement crypto (voir encadré).
La reprise du bitcoin en 2023 depuis 15’000 jusqu’à près de 30’000 dollars dans un contexte macro pourtant défavorable pourrait donc trouver son origine dans une phase d’accumulation silencieuse, à l’œuvre depuis plusieurs mois. Ces mouvements cycliques ont déjà été constatés par le passé, notamment entre 2014 et 2016, puis 2018 et 2020, à la suite de brutales corrections du marché. Les investisseurs saisonniers se positionnent en attendant le prochain emballement pour réaliser leurs gains. Ils anticipent également l’arrivée du halving en 2024 (la division par deux de la rémunération des mineurs), qui a les fois précédentes entraîné une hausse mécanique des cours.
Le bitcoin sinon rien
L’accumulation actuelle ne concerne pas toutes les cryptos au même rang. Jan De Schepper, chef de ventes et marketing chez Swissquote, met en avant «une augmentation des positions ouvertes», malgré le nouvel hiver crypto, et note «la domination du bitcoin chez Swissquote par rapport aux autres cryptomonnaies, qui n’a cessé de croître depuis 2022. L’effondrement de CS/SVB/Signature a même eu un impact plus important que FTX et Luna.» Une divergence que résume Julian Liniger, de Relai App: «Beaucoup de gens adoptent le mindset suivant: bitcoin pour le long terme (notion d’or digital) et altcoins pour la spéculation.»
Au-delà des données cycliques, certains signes permettent d’entrevoir un changement plus profond du rapport à bitcoin, avec un investissement plus lointain que les deux à quatre ans du saisonnier, selon Alexandre Roubaud, de Bitstack: «Nous avons sondé nos clients, et il s’avère que 93% d’entre eux voient leur placement à au moins trois ans, et 29% à au moins dix ans.» Jan De Schepper, CEO de chez Swissquote, estime que «le bitcoin est désormais plébiscité pour ses fondamentaux. La difficulté de certaines banques américaines et l’expansion monétaire entraînent une baisse de la confiance dans le système traditionnel.»
Indice du changement de paradigme pressenti, une offre de troisième pilier de Finpension intègre depuis fin 2021 jusqu’à 5% de cryptos, sur la base d’un indice créé par Cryptofinance (Deutsche Börse), et composé à 64% de bitcoins et 26% d’ethers. Alberto Gonzalez, responsable Suisse romande, rappelle «que ce produit a été créé suite à la demande de certains de nos clients». Essentiellement cantonnée à une tranche 25-35 ans, et encore sur des volumes assez faibles, la prévoyance en bitcoin démarre doucement. «Ça reste encore embryonnaire, relativise Alberto Gonzalez, car pour les autres catégories d’âge, on demeure face à une classe d’actifs perçue comme spéculative. En revanche, chez les plus jeunes, le bitcoin fait son chemin en tant que réserve de valeur. C’est une attente à laquelle nous devons d’ores et déjà répondre.»
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