«Motion blockchain» au Parlement genevois«L’écosystème blockchain genevois a besoin d’un signal politique fort»
Cadre juridique clair, incitatifs fiscaux, impulsion étatique: la motion actuellement en commission au Grand Conseil genevois vise à faire émerger un pôle blockchain au bout du lac. Pierre Conne, député PLR à l’initiative, espère rattraper le retard pris sur Zoug ou encore Neuchâtel.

«Pour que Genève devienne un centre de référence de la technologie blockchain»: l’intitulé de la motion déposée par plusieurs députés PLR genevois – Pierre Conne en tête – est d’autant plus ambitieux que la place genevoise reste encore largement dans l’ombre de Zoug et ses fondations stars (Ethereum, Cardano), ou de Neuchâtel en termes d’attractivité. Une course dans laquelle Lugano s’est récemment positionné avec son initiative blockchain Plan B, financièrement et médiatiquement supportée par le géant Tether.
Rien de comparable au bout du lac, où l’impulsion initiée durant les années 2010 par Pierre Maudet a difficilement survécu à la chute de l’édile. La proposition de motion – qui passe actuellement en commission de l’économie – vise à reprendre le flambeau, en faisant de la blockchain un axe de la politique économique du canton, et en créant un cadre juridique et fiscal incitatif. Pierre Conne reste conscient que la partie est loin d’être gagnée, en particulier au Parlement où la classe politique reste divisée sur la question.
Pierre Maudet avait déjà entrepris de faire de Genève un pôle blockchain reconnu. Pourtant, Genève reste encore devancée par des places comme Zoug ou Neuchâtel, plus attractives. Que s’est-il passé?
Si Zoug et Neuchâtel sont dans la lumière et Genève plus en retrait, c’est parce que l’expérience n’a pas complètement abouti, et que nous sommes restés au milieu du chemin. Le fait que Pierre Maudet ait initié le mouvement a pu jouer un rôle par la suite dans l’essoufflement de ce premier projet. On peut cependant en reprendre des éléments intéressants. Le Registre du commerce sur la blockchain peut par exemple s’étendre au cadastre. L’identité électronique ou l’e-voting peuvent également être conçus sur la blockchain, toujours dans l’idée que l’administration donne l’impulsion dans l’adoption et le développement de la technologie sur Genève.
«Genève, ville des standards internationaux, est bien placée pour former le for juridique international en la matière.»
La motion met l’accent sur la création d’un cadre juridique clair et incitatif. Quelle est la marge de manœuvre cantonale en la matière?
C’est l’idée défendue d’un «safe harbor» à Genève, une réflexion juridique menée avec le Genevois Gabriel Jaccard, chef du groupe de travail sur la régulation de la Crypto Valley Association. Genève, ville des standards internationaux, est bien placée pour former le for juridique international en la matière. On peut par exemple reconnaître la validité juridique des contrats établis sous forme de «smart contracts», élaborer des standards en matière de gouvernance. Nous avons consulté de nombreuses entreprises, et je peux vous dire qu’il y a une attente forte du tissu économique pour un cadre clair régissant l’utilisation de la blockchain. La politique fiscale est également du ressort cantonal. Les entreprises utilisant la blockchain dans leurs relations avec l’administration réalisent des transactions plus rapides, plus sûres et sans intermédiation humaine. Le gain d’efficience peut-être répercuté sous forme d’avantages fiscaux.
On connaît le rôle clé de la Banque Cantonale dans le succès de l’écosystème blockchain neuchâtelois. N’y a-t-il pas sur Genève une méfiance de la place bancaire envers la blockchain et les cryptomonnaies, qui constituerait un frein?
Nous avons parlé avec les représentants de la place financière genevoise, qui accueillent favorablement notre motion. Il y a certes encore une certaine frilosité des banques à soutenir les entreprises liées à la blockchain ou aux cryptomonnaies, mais on peut envisager que la BCGE, dont l’état est actionnaire, agisse à l’image de la BCN en proposant notamment l’ouverture de comptes en cryptomonnaies, et devienne un partenaire de choix pour l’écosystème.
«Si des leaders comme Alexis Roussel ont fait le choix de Neuchâtel, c’est certainement qu’on a manqué d’ambition en la matière.»
Les leaders genevois de la blockchain ont eu tendance à s’expatrier, à l’image d’Alexis Roussel, ou plus récemment de la fintech Mt Pelerin, tous deux sur Neuchâtel. Sur quelles forces pourra s’appuyer le futur pôle genevois?
On peut s’appuyer sur des organisations internationales comme l’ONG Global Business Blockchain Council, ainsi que sur des sociétés très actives comme WeCan, avec Vincent Pignon. Si des leaders comme Alexis Roussel ont fait le choix de Neuchâtel, c’est certainement qu’on a manqué d’ambition en la matière. L’écosystème blockchain genevois a besoin d’un signal politique fort, qui permettra à une nouvelle génération d’entrepreneurs d’émerger et de prospérer sur Genève, et même d’attirer des talents de l’extérieur.
Cette motion, qui prévoit tout de même une action forte de l’État, fait-elle consensus dans les rangs libéraux?
Non, elle ne fait pas encore l’unanimité dans notre famille politique. Pourtant, la blockchain est décentralisée et démocratique par essence. Elle permet même de se passer de l’État garant, la technologie offrant en elle-même une garantie de fiabilité, sans intermédiaire. C’est assez libéral dans l’approche au final! Malgré cela, je ne vois pas de polarisation partisane autour du sujet. Ce que l’on remarque, ce sont des niveaux extrêmement variables de compréhension de la technologie et de ses enjeux par les politiques. On voit de tout, des parlementaires qui confondent cloud et blockchain ou sécurité informatique et blockchain. Il y a encore un très gros travail d’éducation à faire, afin que les atouts de la blockchain pour le rayonnement de la place genevoise soient clairement perçus. La partie est loin d’être gagnée, mais je reste optimiste.
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