
En 1956, Joan Miró (1893-1983), quitte son atelier de Barcelone et la ferme de ses parents, où il travaillait l’été à Mont-roig, pour Palma de Majorque. Une île que ne hante alors aucun touriste. Il va se faire construire un immense atelier tout blanc par son ami l’architecte Josep Lluís Sert (1). Le peintre lui en demandera plus tard un second. Ce sera la première fois qu’il se sentira au large. L’homme est rentré de France en Espagne courant 1940. Une décision à la fois morale et politique. Le Catalan a accepté de revenir au moment où le nouveau régime franquiste se montre le plus dur et le plus offensif. Il se situe ainsi à l’opposé de Pablo Picasso et des surréalistes, qui se refusent au même moment à composer avec le fascisme.
Une «anti-peinture»
Pendant ses trois premières années à Palma, Miró ne fera pas grand-chose. Après avoir déballé ses caisses, il se revisitera. Il va retrouver des toiles souvent inachevées. L’artiste se remettra du coup en question. Comment continuer, en pratiquant ce qu’il appelle désormais une «anti-peinture»? De quelle manière produire des œuvres à la fois plus simples et plus radicales (ce dernier mot n’étant pas aussi galvaudé à l’époque qu’aujourd’hui)? L’intense cogitation durera trois ans. C’est au retour d’un deuxième séjour aux Etats-Unis, où il aura pu mesurer la liberté prise par les grands abstraits américains, que le Catalan reprendra vraiment les pinceaux tout en se consacrant à la gravure et à la sculpture. La grande question est maintenant: «aurait-il dû?». La dernière partie de la carrière de Miró a en effet toujours semblé mineure en dépit de ses formats majeurs…

Le public romand avait déjà pu réévaluer ce «Miró de la fin» lors d’une peu mémorable exposition de l’Hermitage lausannois durant l’été 2013. Je vous en avais alors parlé. Je vous avais dit combien mon impression restait mauvaise face à cet art expéditif et répétitif qui multipliait les compositions colorées à l’intention d’un public acquis d’avance. Le visiteur avait toujours l’impression de voir à Lausanne l’esquisse pour le dessin du t-shirt ou le modèle pour une affiche de l’Office du tourisme espagnol. Il y avait en plus la sculpture, où le Catalan procède par assemblages d’objets plus ou moins trouvés. Comme Picasso certes, mais avec moins d’invention, de fantaisie et de génie. Le tout embardouflé de couleurs criardes. Une véritable caricature de l’artiste par lui-même.
Muse en scène réussie
Qu’allait donner l’exposition du Zentrum Paul Klee de Berne (ZPK), coproduite avec les mêmes fondations Miró de Barcelone et de Palma de Majorque? Un bon point pour commencer. Comme c’est le cas depuis quelque temps, la mise en scène adoptée dans l’épouvantable halle conçue par Renzo Piano a enfin trouvé ses marques. La disposition des panneaux se révèle séduisante. Une grosse sculpture (même horrible) au milieu équilibre les masses. La surcharge d’œuvres minuscules a fait place à une intelligente suite de grandes et de petites toiles. La réussite peut sembler moins évidente ici qu’avec les rétrospectives récemment dédiées à Isamu Noguchi ou à Max Bill, mais elle est réelle. Elle se mesure surtout ici à l’énormité de l’échec évité.

Il faut en effet l’admettre une nouvelle fois, même si je sais que nombreuses demeureront les gens à ne pas se montrer d’accord avec moi (chacun a droit à sa libre opinion). Autant Miró a pu se montrer génial dans sa courte période figurative des années 1910 puis lors de son moment surréaliste des deux décennies suivantes, autant il patauge ensuite en dépit de l’influence combinée du zen japonais et de l’abstraction lyrique américaine (2). Je veux bien que les trois gigantesques «bleus», réunis à coups de millions au Centre Pompidou ne soient pas là. Mais à mon avis il n’y a au ZPK qu’un seul chef-d’œuvre, venu d’ailleurs du Kunstmuseum de Berne. Il date de 1953. Le Zentrum le propose comme «appetiser». La suite se révèle aussi décevante que craint en dépit de quelques coups d’éclat. On se croirait dans une de ces galeries d’art moderne proposant à une clientèle de nouveaux riches les œuvres «flashy» un peu trop typiques qui éblouiront leurs invités.
Contemporains à découvrir
Cela dit, si vous aimez Miró, ne vous privez pas du plaisir de me contredire. Je n’en pense pas moins que la peinture espagnole, produite dans un pays tragiquement coupé du reste de l’Europe, se voit alors renouvelée par d’autres signatures. Je pense bien sûr à celles d’Antoni Tàpies, d’Antonio Saura ou de Manolo Millares. Ce dernier mériterait du reste bien une fois sa rétrospective. Millares cherche encore un vrai public hors de son pays natal.
(1) Josep Lluís Sert est le neveu du peintre monumental José Maria Sert, qui a notamment décoré le Palais des Nations à Genève.
(2) Les «peintures brûlées» exécutées par Miró en 1973 regardent, elles, un peu trop du côté de l’Italien Alberto Burri.
Pratique
«Miró, Nouveaux horizons», Zentrum Paul Klee, 3, Monument im Fruchtland, Berne, jusqu’au 7 mai. Tél. 031 359 01 01, site www.zpk.org Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h. Signe des temps, les petites brochures gratuites en trois langues ont été remplacées par un code à scanner.
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Exposition à Berne – Le Zentrum Paul Klee montre le Miró de la fin
La rétrospective, qui débute à la fin des années 1950, est coproduite avec les fondations dédiées à l’artiste par Palma de Majorque et Barcelone.