
Alors qu’on n’en arrive pas encore tout à fait au Jugement dernier, certains morts ressuscitent déjà. Ainsi en va-t-il du Salon du livre, qui n’a plus existé que sous forme de moignons en 2021 et en 2022 après avoir passé à la trappe en 2020. La manifestation créée en 1986 par Pierre-Marcel Favre a retrouvé en 2023 sa place à Palexpo jusqu’au dimanche 26 mars. La foire était pourtant en plein déclin dès avant le Covid, après avoir été tirée plusieurs années consécutives de l’eau sous la direction d’Isabelle Falconnier. Cette dernière était même parvenue à lui conférer une sorte d’élégance. La chose tenait du miracle, vu le côté saucisses et l’aspect marché aux puces de l’entreprise. La Lausannoise avait même réussi à imposer une ligne graphique à un ramassis de stands tous plus laids les uns que les autres.
«Le cercle» tire son épingle du jeu
Ce temps est révolu. L’actuelle mouture, qui occupe à Palexpo le même espace que l’élégant Artgenève, tient à mon avis du grand n’importe quoi. Seule, l’odeur entêtante du «street food» donne encore un semblant d’unité à un rassemblement aussi hétéroclite qu’un terrain de camping. Il n’y a guère que le «Salon Africain» à un bout du Salon et «Le Cercle», à l’autre extrémité pour tirer leur épingle du jeu. Le premier met en valeur des littératures émergentes cherchant en Europe des points de diffusion. Le second accorde de la visibilité aux micro-éditeurs romands, qui restent fort nombreux. Ces derniers tiennent certes une fois par an à Chêne-Bougeries leur propre salon, qui dure un seul jour, mais deux coups de projecteur valent mieux qu’un. En plus le décor du «Cercle», réutilisable à volonté (il a cette fois adopté la forme d’un… rectangle), confère à l’ensemble non seulement de la tenue, mais un semblant d’intimité.

Le reste me paraît tout simplement épouvantable. Alors qu’il a déjà fallu accéder par des autobus bringuebalants à un bâtiment des années 1980 qui constitue à l’architecture ce que le «junk food» reste par rapport à un trois-étoiles au Guide Michelin, c’est la plongée brutale dans l’enfer du goût. Des étals, où les livres s’accumulent sans le moindre effort de présentation, succèdent aux chaises assez vides des multiples causeries inutiles. Des stands, dont le visiteur se demande ce qu’ils peuvent bien vanter, précèdent des lieux de restauration désespérants. La presse, jadis partie prenante jusque dans le titre de la manifestation, se voit aujourd’hui mise au rancart. Est-ce bien cela que l’on veut montrer le jeudi et le vendredi aux enfants des écoles formant après tout les futurs lecteurs? La plupart d’entre eux préfèrent courir et jouer. J’avoue que je les comprends, même si j’avoue ne pas trop être pour «l’école indulgente» aujourd’hui contestée.

Devenue presque anonyme, l’organisation me semble grandement responsable. Le choix du lieu aussi, à l’heure où les salons du livre connaissent un net reflux partout. Le Salon aurait possédé une autre allure à la Salle communale de Plainpalais, temple Art nouveau de la rue de Carouge, ou à la Salle du Faubourg, dont la construction terminée en 1918 annonce l’Art déco. Vous me direz que ces lieux demeurent trop petits. Je n’en suis pas si sûr. Et puis le cadre fait beaucoup pour ce genre de noubas, où l’on pas envie de parvenir après une demi-heure de transports urbains n’ayant rien de transports de joie. Regardez Le livre sur le quai à Morges en septembre (1)! C’est vraiment la fête, quand il fait beau. Et il y a des endroits dans la petite ville où se tenir si il pleut. Alors, à moins d’adorer le livre en toutes circonstances, réfléchissez avant d’aller à Palexpo… C’est un conseil. Cela dit, il y a des gens qui aiment!
(1) Les 1, 2, 3 septembre en 2023.
Pratique
Salon du livre, Palexpo, 20,route François-Peyrot, Grand-Saconnex, jusqu’au 26 mars. Site www.salondulivre.ch Ouvert le vendredi 24 jusqu’à 19h, le samedi 25 mars de 9h30 à 20h, le dimanche 26 mars de 9h30 à 18h.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Genève – Le Salon du livre revient à la vie, mais sans goût
La manifestation revient pour la première fois depuis 2019 à Palexpo. C’est selon moi dans l’ensemble tragique. Une foire laide et invertébrée.