
Eh bien pour une fois, c’était réussi! Les dernières «Nuits des Bains», qui se déroulent de fait en début de soirée, ressemblaient à des enterrements. Et même pas de première classe! Les habitués avaient vu leur nombre fondre plus vite encore que les glaciers suisses à l’heure du réchauffement terrestre. Ce que les différentes galeries proposaient n’avait souvent rien de folichon. Certaines enseignes fermaient, ou allaient fermer. Qu’allait devenir le Quartier déserté?
Le public de retour
Jeudi 16 mars, les visiteurs étaient revenus. Oh, pas tous! Il y avait cependant non pas un, mais plusieurs publics. Si c’était en compagnie du troisième âge que le Mamco vernissait l’exposition Carmen Perrin au quatrième étage, les gens apparaissaient bien plus jeunes chez Wilde. L’endroit affichait il est vrai Dorian Sari, un jeune Turc de 34 ans vivant entre Genève et Bâle. Des clients de longue date se retrouvaient chez Patrick Cramer, qui proposait avec Yuri Kuper son antépénultième exposition avant sa fermeture définitive (il y en aura donc encore deux). Il y avait enfin les curieux, venus voir une Fabienne Lévy installée non pas seulement à Lausanne, mais au 2, rue des Vieux-Grenadiers où elle présentait Vanessa Safavi. Seconde mi-temps de l’exposition rue Louis-Ruchonnet dans la capitale vaudoise le 23 mars. Il va falloir se déplacer.

Une assistance très mêlée se retrouvait enfin chez Olivier Varenne, qui montrait des œuvres de Christo. Des esquisses pour l’opération «Trees» présentée dans le jardin de la Fondation Beyeler en 1997. Du mini-Christo par rapport à ses installations kilométriques ou à ses opérations emballage de Noël dont la dernière, posthume fut. je vous le rappelle la mise sous bâche de l’Arc de Triomphe à Paris. Un succès par ailleurs triomphal. Olivier, qui dispose d’un double espace rue des Bains, présentait parallèlement Richard Mosse, Prix Pictet 2017. Il s’agit de l’un des nombreux photographes décrivant les ravages écologiques. Feuilles de salle ici en anglais, comme trop souvent aujourd’hui. C’est aussi le cas pour Vanessa Safavi, pourtant Suisse romande. A l’heure où l’on parle tant de «décoloniser», pourquoi faut-il véhiculer un langage hégémonique devenu si agressivement colonisateur à Genève?
Un hommage muséal
Que retenir de cette fournée de nouveaux accrochages, encore chauds comme des petits pains? Franz Gertsch chez Skopia, en priorité absolue! Dans son double local de la rue des Vieux-Grenadiers (triple en fait si je compte les bureaux) Pierre-Henri Jaccaud offre de l’artiste bernois, disparu en décembre 2022, des gravures essentielles. Je citerai trois tirages de la dernière œuvre, montrant des vagues. La galerie propose du reste souvent plusieurs fois la même pièce, tirée dans des tons différents, avec la diversité des effets induits de la sorte. L’œuvre change. Elle nous dit autre chose. Elle palpite d’une manière différente, montrant plus ou moins intensément les criblés, taillés par Gertsch pendant parfois un an sur l’énorme matrice de bois. Les réalisations proposées tiennent en effet toutes, sauf une, du monumental. D’où l’impression de se retrouver dans un musée, où les œuvres seraient à vendre. Très cher d’ailleurs. Artiste rare, le Bernois se situe maintenant dans les six chiffres. A voir d’ici le 29 avril, date finale de la plupart des expositions vues jeudi aux Bains.

Carmen Perrin reste bien connue à Genève, où elle est arrivée enfant de Bolivie en 1960. Elle y a fait sa carrière, avec des sauts dans des villes comme Marseille. Septuagénaire depuis le 7 janvier dernier, elle méritait un coup de chapeau. Il permet de montrer qu’elle reste active tant grâce à son œuvre personnel que par la commande publique. Alors que les nouvelles séquences du Mamco, dont je vous parlerai bientôt, ont ouvert il y a déjà quelques semaines, ce petit hommage s’inaugurait le 16 mars. Le quatrième étage mène en effet sa vie en solo, autour de grands ensembles maison comme celui de Claude Rutaut. Il n’y a donc que deux salles pour Carmen, agencées avec l’intéressée par Elisabeth Jobin, une commissaire ayant passé du MBC-a lausannois au musée semi-privé genevois. La première abrite des pièces anciennes, remontant pour l’essentiel aux années 80. On en reconnaît les tensions palpables qui distendent et maintiennent ces créations sculpturales debout. Un autre espace, plus restreint, abrite des œuvres récentes dont l’une formée de gants de chantier rouges et noirs.
Chant et piano
Dans ses deux galeries de la rue des Sablons et du Vieux-Billard, Xippas montre pour la première fois à Genève Olaf Holzapfel. L’Allemand travaille avec la paille, la fibre et le textile, créant des motifs répétitifs. Né en 1967 à Dresde, l’homme n’a donc rien d’un débutant. Ses œuvres, parfois un peu décoratives, s’adressent à ceux qu’interpellent les matières. Elles restent discrètes, ce qui n’est bien sûr pas le cas de la production signée Dorian Sari chez Wilde. J’avais déjà vu Dorian au Museum für Gegenwart de Bâle, où il ne se la jouait pas modeste. Le Genevois d’adoption montre ici des objets ou des photos en noir et blanc avec un monsieur coiffé d’un bonnet à tourniquet. Une moitié de l’espace est occupée par des cadres avec des portraits photographiques revêtus chacun d’un authentique veston. On se croirait dans une vitrine. C’est à se demander si Wilde n’a pas ouvert un magasin de confection.

Patrick Cramer termine enfin son long parcours de galeriste avec Yuri Kuper, qu’on a connu à Genève au temps déjà lointain de la maison Jan Krugier. De vastes tableaux, remontant parfois années 1980, dans une toute petite galerie. Une dominante de gris d’autant plus évidente que les murs les supportant se révèlent eux aussi anthracite. Il s’agit du point d’orgue d’un compagnonnage de longue date. Patrick a dû montrer Yuri une bonne dizaine de fois. Au départ l’homme, aujourd’hui octogénaire, restait un dissident russe resté sur place contrairement à d’autres. Il y aura donc encore deux présentations d’artistes de la galerie avant que celle-ci ferme définitivement ses portes. Le lieu changera ensuite d’affectation. Une dame y donnera des leçons de chant et de piano. Je doute fort, vu l’exiguïté de la galerie coupée en plus net par un mur, que l’instrument utilisé soit un Steinway de concert…
Pratique
www.skopia.ch, www.mamco.ch, www.varenne.art.ch, www.xippas.com, www.wildegallery.ch, www.cramer.ch
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Expositions à Genève – Le Quartier des Bains montre ses petits nouveaux
Skopia propose Franz Gertsch. Le Mamco honore Carmen Perrin. Christo est chez Olivier Varenne. Fabienne Lévy a ouvert son espace genevois.