
Le portrait est un ovale en hauteur, mesurant 81 centimètres sur 64. Un format alors à la mode. Dans son cadre doré d’époque, il se retrouve aujourd’hui un peu perdu dans la prochaine série de ventes chez Genève Enchères, qui se dérouleront du 2 au 5 mai, avec des visites possibles les 29, 30 avril et le 1er mai. L’effigie réalisée en 1705 par Hyacinthe Rigaud et son atelier parisien passera elle-même sous le marteau le 4 mai à 18 h 30, lot 163. Ainsi partira pour Dieu sait où une œuvre pour le moins patrimoniale. Il s’agit sans nul doute (bien que d’autres identifications familiales aient été précédemment proposées) de Jean-Antoine Lullin (1666-1709) L’âge de 39 ans convient bien à cet homme montré sur cette effigie d’apparat.
Le Genevois le plus riche de son temps
Jean-Antoine Lullin, qui appartenait à une famille puissante à Genève dès le XIVe siècle, était bien sûr un héritier. Mais il a toujours su faire prospérer sa fortune dans la soie, la dorure puis la banque. Il a ainsi fait partie des financiers qui, quoique protestants, ont prêté à Louis XIV sans trop d’états d’âme des sommes énormes, réunies en peu de temps. La banque française restait alors embryonnaire. Ces spéculations présentaient bien sûr des risques colossaux, le pays voisin se situant alors au bord du gouffre militaire. Jean-Antoine prit ainsi une «cupesse» mémorable en 1708, peu avant sa mort prématurée à Lyon. Mais celle-ci ne fit qu’écorner la fortune du plus gros contribuable (et de loin!) de la République de Genève. La construction de sa demeure put ainsi se poursuivre dans l’actuelle rue de la Cité. L’homme ne devait pourtant jamais voir cet hôtel terminé, puisqu’il le fut en 1712 seulement. Il s’agit de l’actuelle «maison de Saussure», conçue comme un immeuble de rapport. Les Lullin occupaient rez-de-chaussée et le jardin. Leurs locataires les étages.

Pas étonnant que ce puissant personnage ait voulu se faire représenter par le portraitiste du Roi-Soleil. Rigaud était né à Perpignan en 1659. Sa carrière devait se poursuivre presque jusqu’à son décès en 1743. Nous possédons encore son livre de raison, autrement dit ses comptes. Nous savons ainsi que Lullin posa en 1705 pour un original facturé 140 livres. Selon l’usage du temps, le modèle en demanda deux répliques pour un prix global de 150 livres. L’actuelle toile proposée est l’une de ces copies, où le travail de l’atelier s’est vu agrémenté de quelques coups de pinceau du maître. Elle a été étudiée par Ariane James Sarazin, qui a fait sa thèse sur Rigaud, soutenue en 2003. Elle publie en ce moment le catalogue raisonné de son œuvre, qui comptera 2300 pages réparties sur dix tomes. La scientifique a également été l’an dernier la co-commissaire (avec Dominique Brême) de la rétrospective Rigaud de Perpignan, que peu de gens ont admirée au vu des circonstances.
Vendeur non nommé
Genève Enchères n’indique bien sûr par le nom du vendeur. Le tableau provient, selon la formule consacrée, d’«une famille patricienne genevoise». En touillant internet, j’ai cependant découvert qu’un portrait de Jean-Antoine par Rigaud se trouvait naguère dans la Maison de Saussure. Les temps se montrent aujourd’hui durs pour les patrimoines familiaux, dont les descendants se désintéressent. Il faudrait bien sûr qu’une institution municipale genevoise accomplisse un geste. L’estimation reste comprise entre 20 000 et 30 000 francs. Une bagatelle. Notons que la Bibliothèque de Genève doit le plus précieux de son fonds au fils de Jean-Antoine, Ami Lullin. Il y a aussi le Centre d’iconographie genevoise. Sans parler du Musée d’art et d’histoire. Mais je ne vais surtout pas m’en mêler maintenant. Je ne vous ai donc rien dit.
Pratique
Genève enchères, prochaines ventes publiques du 2 au 5 mai. Visites les 29 et 30 avril, plus le 1er mai de 12h à 19h. Tél. 022 710 04 04, site www.geneve-encheres.ch Le catalogue est en ligne depuis quelques jours. Le catalogue papier est lui aussi sorti.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Marché de l’art – Le portrait de Jean-Antoine Lullin est à vendre!
Genève Enchère va propose cet objet patrimonial dans sa session de mai. Le tableau a été peint en 1705 par Hyacinthe Rigaud, l’artiste de Louis XIV.