
C’est un phénomène quasi tellurique. L’intérêt du public français pour les arts et la littérature remonte du Sud au Nord comme si une plaque tectonique s’était un jour mise à bouger. Le phénomène vaut aussi bien pour le «polar» que pour les arts plastiques. Pensez à la peinture! Les regards se sont d’abord portés vers l’Allemagne. Puis est venu le Danemark, avec ses lumières cristallines. Ce dernier a fait place à la Suède et à la Norvège. Nous en arrivons aujourd’hui (1) à la Finlande avec les expositions simultanées à Paris d’Albert Edelfelt et d’Aleksi Gallen Kallela. Il faudra sans doute s’arrêter là. Contrairement au roman policier, les arts plastiques se sont peu épanouis en Islande, et je suppose qu’il en va de même au Groenland.
Débuts historiques
Albert Edelfelt (1854-1905) se retrouve donc jusqu’en juillet au Petit Palais, mais dans les salles inférieures du musée. Présentée sous des plafonds plutôt bas, sa rétrospective actuelle semble doublement écrasée par la présence de Giovanni Boldini (dont je viens de vous parler) à l’étage au-dessus. Avec le Nordique, on quitte en effet le glamour 1900 pour une réalité recomposée certes, mais terriblement dure. Né dans une famille d’origine suédoise sur une terre convoitée par la Russie impériale, Edelfelt a été formé à Paris dès 1874. Il y a suivi l’enseignement de Jean-Léon Gérôme, qui l’a poussé vers la peinture d’histoire. «Le grand genre», encore prisé comme tel au début de la IIIe République. Le débutant va s’orienter par la suite vers le portrait et les évocations de la vie quotidienne sous l’influence de Jules Bastien-Lepage, dont le nom reste un peu oublié. Il deviendra ainsi le compagnon de route d’un Pascal Dagnan-Bouveret, autre méconnu du grand public moderne, jusqu’à son retour au pays en 1891.

Edelfelt a connu un succès considérable en France, surtout après le coup d’éclat de son «Pasteur» de 1886. Un portrait spectaculaire qui a scellé des liens étroits avec la famille du scientifique. Les visiteurs du Petit Palais peuvent ainsi voir, d’un tableau à l’autre, toute sa proche parenté. La chose explique que les musées d’outre Jura se révèlent riches en œuvres du Finlandais, comme ils le sont du Norvégien Frits Thaulow (1847-1906) naguère révélé à Caen. La manifestation actuelle ne se base pas moins sur les collections de l’Ateneum d’Helsinki. Une belle institution. Elle est du coup devenue partie prenante dans l’entreprise. Cette collaboration permet de présenter l’essentiel d’un artiste que les Finlandais ont tout intérêt à mettre en valeur. Les Russes, quand tout n’allait pas encore trop mal, ont du reste agi de même pour Ilya Répine (1844-1930) au Petit Palais. Ce genre d’expositions possède toujours un petit côté diplomatique.

Et qu’est-ce que cela donne à l’arrivée? Menée par Anne-Charlotte Cathelineau pour Paris et Anne Maria Pennonen assistée de Hanne Selkokari à l’Ateneum, l’affaire aboutit à un parcours cohérent. Edelfelt se retrouve rapproché de certains artistes français de son temps, comme Dagnan-Bouveret ou Léon Bonnat. Le public découvre ainsi un artiste très au fait de l’impressionnisme, mais se montrant peu intéressé par cette peinture voulue novatrice. Le visiteur apprécie du coup le caractère classique d’une peinture très composée, aux sujets sérieux et parfois même dramatiques. Edelfelt se révèle un conteur, bientôt doublé d’un patriote. Comme en Norvège au même moment, le besoin d’indépendance à la fois politique et intellectuelle se fait sentir, ici sous la patte russe. Le tsar Nicolas II, un pur autocrate, entend alors imposer aux Finlandais jusqu’à l’orthodoxie. Une religion il est vrai nettement moins propice à la contestation que le luthéranisme.

Cet art un peu triste peut séduire. Son côté narratif risque aussi de rebuter pour son côté parfois compassé. C’est de la belle ouvrage certes, mais dépourvue d’éclat. Sans soleil, serais-je tenté de dire. Le métier serré de l’artiste, même si ce dernier se décorsète un peu les dernières années, garde quelque chose de photographique. On sent du coup mal l’homme derrière son pinceau. Il y a là de la retenue. De la réserve. Un brin de froideur. Une austérité de bon ton. Le public trouvera bien davantage de folie et d’excès chez Aleksi Gallen Kallela, présenté au Musée Jacquemart-André, dont le vous entretiendrai bientôt. Place ici aux mythes nordiques!
(1) Soyons justes. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a offert en 2008 un bel hommage à Helene Schjerfbeck. Cette Finlandaise inspirée est d’une génération plus jeune qu’Edelfelt.
Pratique
«Albert Edelfelt, Lumières de Finlande», Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris, jusqu’au 10 juillet. Tél. 00331 53 43 40 00, site www.petitpalais.paris.fr Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Le vendredi jusqu’à 21h.

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Exposition à Paris – Le Petit Palais invite le Finlandais Albert Edelfelt
Mort en 1905, le peintre a été formé à Paris, où il a commencé une brillante carrière. Il est ensuite revenu au pays, secoué par la fièvre nationaliste.