
A l’annonce de sa mort, le 26 mars 1923, les théâtres arrêtèrent de jouer. La France ne lui accorda pas les funérailles nationales. Aucune femme ne les avait obtenues jusque-là. Il faudra attendre Colette en 1954 (1). Notez que son gouvernement a eu tort! Devant son hôtel particulier transformé en chambre ardente, quarante mille personnes ont signé le livre de condoléances ouvert pour Sarah Bernhardt. Les funérailles elles-mêmes posèrent problème, tant il y avait de monde. La police se faisait renseigner tous les quarts d’heure pour éviter les mouvements de foule et les piétinements de participants. Le cortège finit par arriver au Père Lachaise, où la tombe se trouve toujours. Aucun président n’a eu l’idée de transférer l’actrice au Panthéon, alors qu’elle remplit tous les critères voulus de nos jours. La célébrité mondiale. Le fait d’être une femme. L’appartenance à une minorité en tant que Juive. Allez comprendre…

Sarah Bernhardt fait aujourd’hui l’objet d’une nouvelle grande exposition au Petit Palais de Paris. La Bibliothèque nationale lui en avait déjà accordé une, bien documentée, en 2000. Notons au passage que les visiteurs ne retrouveront pas les mêmes œuvres et documents. Le sujet apparaît si riche qu’on peut sans peine brosser plusieurs portraits de la femme, de la comédienne, de l’artiste et de l’icône. Née en 1844 d’un père inconnu et d’une mère vivant de ses charmes, Sarah a transcendé les genres et les générations. Elle a fasciné trois générations de spectateurs dans le monde entier. Imaginez que, septuagénaire et amputée d’une jambe, la star traversait encore en 1915-1916 les Etats-Unis dans son train Pullman spécial, jouant souvent deux fois par jour en français dans une centaine de villes. Un triomphe! La comédienne voulait se refaire financièrement, mais aussi rallier l’Amérique à l’Europe «libre» en guerre. Ce n’était pas si fou que ça. Pour les Yankees, elle incarnait la France. L’album de «Lucky Luke» la concernant n’a rien inventé. Sarah a bien joué «Phèdre» devant une tribu indienne manifestant son approbation à chaque fin de tirade par des tirs en l’air!

Toute la vie de l’actrice s’est en effet été placée sous le signe de l’excès et de la démesure. Au départ, elle n’avait pas grand-chose pour elle, comme le raconte bien la rétrospective du Petit Palais organisée par Stéphanie Cantarutti. Née dans un milieu lié à la prostitution, elle était maigre et rouquine dans un univers où les hommes ne rêvaient que de blondes opulentes et de brunes capiteuses. L’actrice sut si bien contrer la mode que trente ans après, les préraphaélites et les symbolistes aidant, la beauté était devenue mince et rousse. Déjà quinquagénaire au moment de l’Art nouveau, la femme pouvait ainsi imposer sa silhouette au monde. C’est le moment où elle prit Alphonse Mucha sous contrat pour créer ses affiches ou ses bijoux. Le Tchèque n’eut pas à se plaindre de ce marché. Un magnifique portrait inédit proposé au Petit Palais (où il y a environ 400 pièces exposées) porte ainsi la dédicace: «A sa reine, son mauvais sujet».

Royale, Sarah Bernhardt le fut en effet dès qu’elle atteignit le succès absolu en 1872. Victor Hugo décida alors qu’elle avait «la voix d’or». Jean Cocteau inventera pour elle plus tard le terme de «monstre sacré». Le reste, elle le créera elle-même, à une époque ne connaissant encore ni les grands producteurs, ni les spécialistes de la communication. Sarah comprit vite qu’il fallait faire parler d’elle. Tout le temps. Peu importait la vérité des choses. Il suffisait qu’elles soient frappantes comme le fait de dormir dans un cercueil capitonné de satin blanc ou d’évoluer dans un atelier ménagerie. On la vit photographiée à côté d’une baleine échouée ou avec sa troupe au milieu des chutes du Niagara gelées. Les images de la star incarnant Théodora impératrice de Byzance, «La dame aux camélias», Thérèse d’Avila, Cléopâtre ou Jeanne d’Arc (à 65 ans!) circulaient partout. Toujours à court d’argent, une plaie qui s’aggravera quand elle voudra diriger son théâtre en 1899, il y avait enfin pour Sarah les tournées. Il existe peu de pays où l’on n’ait pas vue, de l’empire des tsars à la Nouvelle-Zélande (où elle acheta des sculptures Maori, aujourd’hui au Quai Branly).

Cette dépense d’énergie ne l’empêchait ni de peindre, ni de sculpter, ni d’écrire des livres dont un premier tome de mémoires en 1907 prouvant qu’elle n’était pas dupe de tout ce cirque. Elle n’arrêtait pas de poser pour les artistes, tout en trouvant du temps pour passer des vacances au milieu des pêcheurs (qu’elle poussera à se regrouper en coopérative) de Belle-Ile-en-Mer. La vedette trouvait des plages libres pour son fils et ses petites filles, pour qui elle fut une parfaite grand-mère. Des photos destinées au public la montrent ainsi avec elles adultes, alors même que Sarah restait supposée d’une jeunesse éternelle. Lors de son plus grand succès en 1900, alors qu’elle avait 56 ans, l’actrice incarna ainsi un «Aiglon» qui en avait 18. Un jeu d’enfant pour elle qui avait déjà créé à la scène le «Lorenzaccio» de Musset et incarné l’ Hamlet et non l’Ophélie (elle aurait sans doute aimé pouvoir incarner les deux à la fois…) de Shakespeare.

Bien mis en scène par Véronique Dollfus, qui a dû faire cohabiter tableaux, documents, costumes de scène ou meubles, l’exposition se devait de laisser une place à la militante. Sarah ne fut pas féministe selon les critères actuels. Elle parle d’elle-même comme d’une faible femme, ce qui tient il est vrai de la coquetterie. Mais il lui faut voir prendre sa plume et féliciter dans une lettre Emile Zola pour son article «J’accuse» au moment de l’affaire Dreyfus. S’engager contre la peine de mort. Partir infirme sur le Front, en 1915 afin de soutenir l’armée française de ses déclamations. Il semble que sa voix, trahie par les rouleaux de cire, ait possédé un pouvoir magique. L’exposition cite Sigmund Freud, qui fut un de ses grands admirateurs avec Marcel Proust et Oscar Wilde. Dans sa lettre, il explique que la pièce est nulle, mais qu’elle se voit transfigurée dès que Sarah donne de la voix. Une voix que nul n’a entendue depuis cent ans. Il ne reste en «live» de l’actrice que des films un peu ridicules, tournés pour de l’argent en fin de carrière. Acheté aux Etats-Unis par un ancien marchands de peaux, «La reine Elizabeth» de 1912 permit pourtant à Adolph Zukor de créer avec ses bénéfices la Paramount…
(1) L’Eglise refusera en revanche des funérailles à la romancière, jugée immorale.
Pratique
«Sarah Bernhardt, Et la femme créa la star», Petit Palais, avenue Winston Churchill, Paris, jusqu’au 23 août. Tél. 00331 53 43 40 00, site www.petitpalais.paris.fr Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, les vendredis et samedis jusqu’à 20h. Réservation conseillée.

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Exposition à Paris – Le Petit Palais honore la divine Sarah Bernhardt
L’actrice, mais aussi sculptrice, écrivaine ou militante est morte en 1923. Plus de 400 objets racontent la vie d’une diva hors du commun.