
Il a un an de retard. L’attente est cependant restée supportable, sauf peut-être pour les galeristes concernés. Le dix-septième «Parcours céramique carougeois» a commencé le 17 septembre «dans la ville sarde», selon l’expression géographique consacrée. Il regroupe un certain nombre de lieux, parfois de fortune. Il fallait trouver la place nécessaire pour vingt présentations. Ces accrochages en accompagnent d’autres à travers Genève, et même jusqu’à Nyon ou Neuchâtel. Je vous ai déjà parlé de plusieurs d’entre eux. Je vous rappelle que leur existence globale (et le délai accepté par Carouge) tient à la tenue au musée de l’Ariana du congrès de l’Association internationale de la céramique (AIC), qui fête ses 70 ans en 2022.
Un choix coordonné
Comment se présentent les choses? Mais comme d’habitude, pour autant qu’une manifestation biennale puisse créer des automatismes! Un certain nombre de galeries et magasins accueillent des ensembles plus ou moins importants sur le plan quantitatif. C’est leur choix. Il existe cependant deux commissaires afin que le résultat acquière au final un sens. Il s’agit cette fois d’Emilie Fargues et d’Irina Popa. Deux dames charmantes qui se promenaient samedi pour voir si tout se passait bien. L’une un peu charmeuse (c’est Emilie). L’autre plus affirmée (c’est Irina), mais non sans humour. Il s’est agi, et il s’agit encore de mettre de l’huile dans des rouages assez complexes. La Fondation Bruckner, qui chapeaute le «Parcours», doit se montrer efficace sans devenir pour autant autoritaire. Un exercice de trapèze volant apparemment réussi. Je n’ai pas entendu un seul mot de travers sur l’organisation, alors que le milieu de l’art est bien sûr comme les autres. Pépiant et pointilleux (je choisis mes adjectifs!).

Et qu’est-ce que cela donne? Un itinéraire dont le point de ralliement se trouverait aux Halles de la Fonderie, qui me laisseront toujours le regret du temps où l’on y coulait encore le bronze. Là se trouvent plusieurs expositions sur deux étages, dont l’un en sous-sol, mais aussi un Café céramique avec atelier et performances. Certains endroits semblent privilégiés dans la mesure où ils se voient regroupés dans les rues Saint Victor, Ancienne ou Cardinal-Mermillod. Plus excentrés, d’autres espaces se retrouvent fatalement à la peine. Il faut être initié pour visiter au cinquième étage d’un bâtiment des Noirettes le petit local de Jörg Brockmann. La Maison Potter (aucun rapport avec Harry Potter) se trouve au diable vauvert, route de Pinchat. Idem pour la Fondation Bruckner elle-même. Elle loge au chemin (sans issue) de Grange-Collomb. Je précise tout de même que la petite brochure de «Materia Prima», puisque tel se révèle l’intitulé de 2022, comporte un plan.
Ruée sur Arnold Annen
Que retenir de l’édition actuelle? C’est selon les goûts, bien sûr. Pour ce qui concerne les couleurs un peu moins. D’une manière générale ce sont les grandes absentes de l’année par rapport aux moutures précédentes. Nous restons cette fois dans les blancs, les noirs et les bruns. Il n’y a que le Musée de Carouge pour faire exception avec son concours placé sous le signe du «Bling Bling». J’y reviendrai plus tard. Il était clair que Marianne Brand, dont la galerie présente régulièrement de la céramique, allait proposer un lot exceptionnel. Elle montre un couple, formé de Violette Fassbaender et d’Arnold Annen. Les conjoints se révèlent parfaitement dissemblables. Mais le résultat n’est pas celui attendu. Elle propose de véritables rochers (en fait creux), posés sur des tables, tandis que lui conçoit des porcelaines aussi fines que possible. Deux millimètres d’épaisseur, alors que ses vases apparaissent de grande taille! Si vous comptez en acquérir un, c’est déjà trop tard. Tout (ou presque) est parti dans les premières minutes du «Parcours».

En face, Le Salon Vert propose la Britannique Alice Walton, qui se livrera à une démonstration le samedi 24. Les pièces se voient recouvertes de serpentins de terre aux tons pastel les faisant ressembler à de la mosaïque. Simplicité totale à la Galerie Ligne Treize en compagnie de Sylvie Enlalbert, qui offre de grandes pièces brunes tournées, dont l’équilibre peut parfois sembler instable. Ce sont pourtant des œuvres fortes et rudes, sachant s’imposer. Tout comme les sculptures aux pâtes véritablement feuilletées d’Icaro Maiterana chez Les Insolites. J’en profite pour dire que les textes de la brochure demeurent selon moi souvent illisibles. Je n’ai pas compris un traître mot de celui concernant le céramiste espagnol. Peter Kammermann et la Galerie h présentent, eux, le même Emmanuel Boos. Ce sont des cheminements de brique vernissées, parfois tordues ou même écrasées. Ces pièces renvoient à une idée de construction. La céramique ne demeure pas que décorative ou utilitaire sur le plan domestique.
Terrifiant «Bling Bling»
Voici donc ce qui m’a le plus impressionné. Il me reste à parler du Musée de Carouge, qui a toujours participé au «Parcours» avec une compétition. Il y a au départ un thème, si possible à respecter. Ce fut longtemps un objet, allant de la tasse au chandelier. Cette fois, le sujet se révèle quasi psychologique. Qu’est-ce au juste que le «Bling Bling», et comment surtout la céramique peut-elle le représenter? Enormément de concurrents internationaux ont répondu. Certains se sont vus invités à envoyer une pièce. Les autres existent sous forme de photos. Signe des temps, celles-ci ne sont plus affichées aux murs du bâtiment récemment rénové. Elles défilent sur des écrans. Je ne peux pas dire que j’aie été dans l’ensemble emballé. Se détachent sur des cimaises au rose shocking agressif des choses tourmentées, au mauvais goût assumé mais profondément vulgaire quand même. Il y a bien sûr eu des vainqueurs (1). Mais l’art céramique en ressort vaincu. C’est pourtant la seule présentation carougeoise qui ne soit pas éphémère. Elle durera jusqu’au 11 décembre. C’est long!
(1) Le Français Mathieu Frossard a reçu le Prix de la Ville de Carouge pour «Give Me More». La Française Jessie Derogy le Prix Swissceramics pour «Phaos».

Pratique
«Materia Prima», Parcours céramique carougeois 2022, itinéraire à travers la ville, jusqu’au 25 septembre. Site www.parcoursceramiquecarougeois.ch Ouvert du lundi au vendredi de 11h à 18h30. Les samedis et dimanches de 11h à 18h. Tout reste gratuit, y compris les événements pour lesquels il s’agit de s’inscrire. Nombre de places limité.
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Itinéraire à Carouge – Le «Parcours céramique» reprend du service
La biennale n’avait plus eu lieu depuis 2019. Elle occupe une vingtaine de lieux, galeries ou boutiques. L’ensemble apparaît fort peu coloré.