
Si l’on demandait au commun des mortels de choisir les dix plus grands architectes de la seconde moitié du XXe siècle, peu de gens le retiendraient sans doute sur leur «wishing list». Et pourtant! Et pourtant! Le Milanais Aldo Rossi (1931-1997) me semble une des figures importantes de ces années-là, même si son nom n’est jamais devenu médiatique. Contrairement à son cadet de six ans Renzo Piano, l’homme possédait mieux qu’une patte. Il développait un style, éminemment reconnaissable. Un peu comme notre Mario Botta national. L’Italien répondait du reste au même type de culture. Il ne s’agissait pas pour lui de répondre à m’importe quel type de demande, mais d’inscrire son bâti dans une tradition. Une filiation que je qualifierais d’humaniste, si ce mot gardait encore un sens. Avec Rossi, pas de béton à tout va, d’acier arrogant ou de baies vitrées à l’infini. Pas de recherche du bâtiment le plus cher et les plus tape-à-l’œil possible non plus. Son art respirait aussi bien la sérénité qu’une certaine modestie.

C’est à Aldo Rossi, mais à Rossi «designer» que le Museo del Novecento (autrement dit du XXe siècle) de Milan accorde aujourd’hui sa grande exposition. Rien là que de très normal. L’homme a créé des meubles, des tapis ou des services à thé en porcelaine. Rien de moins éloigné de l’architecture non plus. Ce qu’il y a de merveilleux avec Rossi, c’est que l’homme ne faisait aucune différence entre un bâtiment privé ou public et une commande pour un ustensile ménager. Comme au XVIIIe siècle déjà en Angleterre William Kent ou les frères Adam. La cafetière métallique en forme de cône créée pour Alessi (un grand classique du design) prend ainsi un air monumental. Idem pour certaines de ses armoires. Ce sont des blocs de «building» en plus élégant. Usant volontiers du carré, l’homme tire les mêmes effets avec le minuscule et le gigantesque. Car en dépit de ce que je viens de vous dire, Rossi pouvait bel et bien s’atteler à un chantier gigantesque. Dix ans de travail pour l’opéra de Gênes, le San Carlo, resté des décennies durant à l’état de ruine après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale! Le tout pour un résultat ne déparant pas la cité. Un bel objet!

Organisée par Chiara Spangaro et Cristina Moro, l’actuelle rétrospective brasse des réalisations exécutées entre 1966, ce qui exclut les œuvres de jeunesse, et la mort de Rossi en 1997. Accident de voiture. Diplômé à Milan en 1959, le débutant a il est vrai commencé par faire du journalisme dans «Casabella». Il a beaucoup enseigné, ce qui l’a du reste mené au Poly de Zurich. L’homme a aussi passé du temps à écrire son gros livre, «L’architettura nella città», sorti précisément en 1966. Il a certes obtenu par la suite des mandats pour d’importants bâtiments construits aussi bien en Italie qu’à Berlin, Burbank, Maastricht (le Bonfantenmuseum) ou Fukuara (l’hôtel Il Palazzo). Mais Rossi a surtout collaboré avec les meilleures maisons de son pays dans le domaine qu’il me semble encore permis d’appeler les arts décoratifs. L’Italien se montrait fasciné par l’artisanat. Le pouvoir de la main humaine. Les savoir-faire. Il se distinguait en cela de Renzo Piano qui jouait déjà les mécanos du futur sur la Terre entière. Il y a finalement eu entre eux le même type de divergence qu’à la génération précédente avec Gio Ponti, l’expérimental, et Tomaso Buzzi, le néobaroque.

Les deux commissaires peuvent donc aligner, dans une scénographie inventive s’inspirant des idées de Rossi, les fauteuils en vrai bois et les soupières en authentique porcelaine. Les percolateurs «obus» et les projets d’ossuaires (si si!). Les murs d’une salle entière se voient couverts par les tapis imaginés par le Milanais. Une autre rend bien sûr hommage au «Teatro del Mondo» flottant, que Rossi avait véhiculé jusqu’à Venise en 1979. Ce fut un événement dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Cette construction éphémère est à l’origine de la Biennale d’architecture, créée en 1980. Très émouvante, la chambre finale s’intitule «Biografia domestica». L’espace s’ordonne à la manière des intérieurs imaginés par Rossi pour lui-même ou ses bureaux, qui n’atteignaient de loin pas la taille des usines de Jean Nouvel ou de David Chipperfield. Le visiteur peut voir que l’homme mélangeait ses créations avec des meubles de famille ou des objets chinés. Comme je vous l’ai dit, Aldo ne voulait pas tout bousculer pour imprimer son ego. Avec lui, pas de table rase. Le but restait de se fondre dans un tissu urbain, ou quelque part à la campagne.

De nombreux dessins de Rossi peuvent se découvrir le long du parcours. Aucun ne sort bien sûr d’un ordinateur. Tout d’abord, ce n’était pas vraiment le genre du monsieur. Il en faisait des œuvres d’art autonomes. De l’autre, le virtuel balbutiait encore dans les années 1970 et 1980. Rossi peignait aussi avec talent, comme en a témoigné il y a quelques années une belle exposition en marge d’une Biennale de l’architecture vénitienne. Un peu dans la veine tardive de l’art métaphysique de Giorgio de Chirico. L’actuelle manifestation ne comprend cependant pas de tableaux. J’ai trouvé dommage. Ou alors, ce sera pour une autre fois…
Pratique
«Aldo Rossi, design 1966-1997», Museo del Novecento, 6, piazza Duomo, Milan, jusqu’au 2 octobre. Tél. 0039 02 88 44 40 61, site www.museodelnovecento.org Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 19h30, le jeudi jusqu’à 22h30. Pas besoin de réserver. N’oubliez pas le reste du musée, logé dans un extravagant édifice mussolinien!

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Exposition à Milan – Le Museo del Novecento honore Aldo Rossi designer
Mort accidentellement en 1997, l’architecte a beaucoup travaillé dans les arts décoratifs. Il croyait ferme à l’artisanat et à la main humaine.