
S’il y a une ville sachant sur quel pied danser, c’est bien Lausanne. Déboussolés par l’histoire et la géographie les «Ballets russes» de Serge de Diaghilev s’y sont installés dès 1915. Quinze ans plus tard s’ouvrait dans la cité le Studio Sakharoff, qui perpétuait les traditions impériales. Le contemporain se faisait ici une place en 1966-1967 avec des gens comme Asa Lanova (qui devint ensuite écrivaine), Philippe Dahlmann ou Raoul Lanvin Colombo. Né en 1972, le Festival de la Cité se mettait aussi parfois sous le signe de Terpsichore (1). En 1973 se déroulait enfin la première édition du «Prix de Lausanne» pour jeunes danseurs. Il ne manquait plus que Maurice Béjart. Un homme qui faisait figure de révolutionnaire dans ma lointaine jeunesse. Le Français s’installera à Lausanne avec armes et bagages en 1987. Il y restera jusqu’à sa mort en 2007.
Un espace restreint
C’est cependant au seul Prix, distribué après un concours, que s’intéresse aujourd’hui le Musée historique de Lausanne. Il faut dire que l’institution dirigée par Laurent Golay (que je suis en train d’imaginer accomplissant des bonds à la Nijinsky) ne dispose pas d’une place infinie. L’espace disponible pour ses manifestations temporaires ne doit guère excéder les quatre cents mètres carrés. D’où de fréquents problèmes pour créer des expositions ne ressemblant pas à des entassements. Si un sujet comme la mode dans le canton de Vaud passait bien la rampe, les loisirs tenaient ainsi du «gugelhopf» culturel. Serré serré. Or il faut qu’un accrochage respire pour que les visiteurs ne s’essoufflent pas.
Le choc du moderne
Les commissaires Céline Bösch et Emma Rebeaud ont donc opté pour une exposition légère symptomatiquement intitulée «Envol». Tout commence par un historique et l’explication de la manière dont cette compétition annuelle fonctionne. Nous ne sommes plus en 1973, quand l’impulsion venait notamment de l’étoile Rosella Hightower. Le ballet classique tend à devenir de plus en plus historique. Il ne reste au firmament que dans les ex-pays de l’Est, ou paradoxalement en Asie. Le moderne a tout chahuté chez nous, de Béjart à Pina Bausch, puis à Angelin Preljocaj. La formation technique se voit toujours davantage perçue comme un apprentissage pour faire autre chose ensuite. Une base, quoi! Le moderne est donc entré en compétition à Lausanne dès 1984.

Céline et Emma ont ensuite laissé la bride sur le cou collectif de l’Atelier Oï de La Neuveville. Ce dernier a imaginé des projections mobiles sur des lés de tissus descendant du plafond. Des spots enjuponnés dansant au-dessus du public. Une loge de danseur avec ses accessoires et ses grigris contre le trac. Puis une chambre toute nue, où se voient projetées sur plusieurs écrans les prestations des candidats et candidates. Des gens très jeunes, venus de partout, qui jouent ici en quelques minutes leur avenir. Il fallait rappeler au public que la danse reste avant tout mouvement. Une chose que la photographie finit par nier un peu. La dernière salle montre enfin des candidat(e)s ayant participé au concours de Lausanne depuis un demi-siècle. Une galerie de portraits en action. Pour certain(e)s, c’est déjà loin. Terriblement loin.
Que sont-ils devenus?
Le visiteur aimerait du coup bien apprendre ce que ces gens sont devenus. Pas tous des vedettes, pour sûr! Beaucoup ont sans doute assez vite abandonné après des années de sacrifices et d’efforts. En ce qui concerne les premières volées, tout est terminé depuis bien longtemps. Ces garçons et ces filles sont aujourd’hui sexagénaires. Retraités ou reconvertis. L’exposition a beau se focaliser sur le présent, avec des espérances d’avenir. Elle possède aussi par la force des choses un caractère assez funèbre. Trois petits tours et puis s’en vont. Rien n’a changé depuis les marionnettes de la chanson… Une conclusion un peu amère pour une jolie exposition.
(1) Terpsichore est, je le rappelle, la Muse de la danse.
Pratique
«Envol, Le Prix de Lausanne, 50 ans de danse», Musée historique de Lausanne, 4, place de la Cathédrale, Lausanne, jusqu’au 29 mai. Tél. 021 315 41 01, site www.lausanne.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Exposition souvenir – Le Musée historique lausannois prend son «Envol»
Il y a cinquante ans naissait le Prix destiné aux jeunes danseurs et danseuses. Tout a bien changé depuis 1973. La scénographie est très réussie.